Vanity Fair : le bûcher des vanités

— Analyse —

Mercredi 26 juin, la célèbre revue américaine prend ses quartiers à Saint-Germain des Prés. A distance des news magazines et des titres People, Vanity Fair annonce l’avènement de la presse mondaine dans les kiosques français.

 

Vanity Fair, une américaine à Paris

Ce n’est pas un hasard si Vanity Fair a choisi l’ancien hôtel de la société d’encouragement pour l’industrie nationale place Saint-Germain des Prés pour y donner sa première conférence de presse. Un lieu habité d’une audace lumineuse dont elle espère s’être pleinement inspirée : cette salle aux plafonds aussi hauts que les stilleto des vedettes de cinéma accueillait, il y a plus d’un siècle, les premières projections des frères Lumière. Portraits des hommes illustres suspendus aux murs, atmosphère de suspens : une mise en scène parcimonieuse dont se délecte l’équipe française du mensuel.

Xavier Romatet, PDG de Condé Nast France (Vogue, Architectural Digest, Glamour, GQ, Wired, The New Yorker), Michel Denisot (un type qui a « une petite expérience dans l’audiovisuel », directeur de la rédaction) et Anne Boulay, rédactrice en chef.

Romatet retrace le récit épique de l’aventure « irrationnelle» dans laquelle son groupe a généreusement investi 15 millions d’euros. Tout à coup, les lumières s’éteignent. La Une du premier numéro de Vanity Fair crève le TNI. Juste en dessous de l’œil soudain éveillé d’un illustre inventeur, la ravissante Scarlett Johansson entrebâille la porte de son salon au lecteur. « Une américaine à Paris ». Belle mise en abîme de la revue elle-même. Aux Etats-Unis, Vanity Fair, qui fête cette année ses 100 ans, est vendu à 1,25 million d’exemplaires. Signature dans l‘histoire de la presse  américaine, Vanity Fair est précurseur du genre « news glamour», genre de journalisme encore jamais éclos en France, tant il choque par son apparente désinvolture. La difficulté pour l’équipe française était de rester fidèle à cette «griffe», sans pour autant se heurter au dédain du public hexagonal.

Conférence de lancement de Vanity Fair hier à Paris. Photo : Intégrales Productions.
Conférence de lancement de Vanity Fair hier à Paris. Photo : Intégrales Productions.

C’est dans l’histoire même du magazine que Michel Denisot et Anne Boulay ont trouvé la passerelle permettant d’enjamber ce hiatus culturel. Vanity Fair est né dans l’engouement des étoiles hollywoodiennes, mais c’est sous une lune parisienne qu’elle a trouvé son inspiration. Car Vanity Fair, avant d’être «people », est mondain. Chic. Luxueux. Élitiste. Il fallait revenir aux origines historiques du journal pour en créer une mouture française. Structurer la revue comme un appartement où les femmes du monde savent recevoir. Xavier Romatet se plaît à comparer Vanity à un « dîner brillant, enlevé, mouvementé.» Ecrire un magazine dont le contenu ne se consomme pas, mais se consume à la bougie de discussions interminables. Le mensuel consacre à cet égard la rubrique « fumoir» au débat. « Il n’y a pas que les femmes qui ont du style, les idées aussi en ont ! » défend Anne Boulay. Vanity mise sur l’intelligence, l’impertinence et la légèreté. Denisot veut un magazine qui soit « brillant dehors, mordant dedans. » Une posture qui sied comme une robe sur mesure à la parisienne. La glose sur papier glacé. L’investigation et le glamour enfin à la même table. Mittal Glam. Alain Badiou Glam. Scarlett Johansson glam. « Des destins exceptionnels, la biographie d’une époque », s’illumine Vanity Fair dans son dossier de presse.  La foire des vanités.

Reste que c’est dans ce balancement entre le voyage à Hollywood et le dîner à Saint Germain des Prés que Vanity Fair trouve son identité française. Reconnaissons qu’à travers ce storytelling, l’équipe de Michel Denisot éloigne deux écueils : d’une part, celui du mag « so american» dans lequel les Françaises -dont la dernière soirée sur les toits de Brooklyn remonte à plus de trois semaines- ne pourraient se reconnaître un minimum, et d’autre part, celui de la sur-adaptation au public français, effet « Cream Cheese au camembert » garanti. Au final, 80% des articles, tous supports confondus, seront « made in France », la rédaction ayant souhaité limiter à 20% les traductions des pages du mensuel américain.

Le statut, le standing, et Vanity dans le sac

Pour attirer ses lectrices, l’équipe rédactionnelle du Vanity Fair germano-pratin a dû maîtriser les deux pendants paradoxaux du luxe : à savoir, d’une part l’aspect «select», «complexe», «pas donné à tous», et d’autre part, le côté «easy», «zéro contrariété».

Tout d’abord, mieux vaut détenir un bagage pour lire Vanity Fair. Tenir en main une malle Vuitton de la culture générale. Savoir humer, entre les lignes, les touches de références philosophiques et littéraires, et siroter -en bon parnassien qui se respecte et prend son temps en même temps que son café chez Flore- l’art de la photographie et des maquettes élégantes.

C’est au prix de cet effort que la lectrice bénéficiera d’une expérience très souple. A tout moment, elle a la possibilité de choisir, ou plus exactement, d’avoir le choix. Feuilleter le magazine dans l’ordre du hasard est aisé, grâce au grand nombre de rubriques thématiques proposées. Préférer les enquêtes longues aux billets «pop corn». Switcher entre la version print et la version iPad augmentée (tarifée à 24,90 euros/an) est aussi simple que de passer de la véranda à la salle à manger. Par souci de préserver ce sentiment de «all is easy», la rédaction est allée jusqu’à renoncer à instaurer une zone payante sur le site internet de Vanity Fair.

En kiosque dès aujourd’hui, Vanity Fair se situera entre Elle et Paris Match. « Vous voulez attaquer Lagardère ? », ironise un journaliste. « Il va nous entourer », recadre Michel Denisot, décidé à faire comprendre à la presse que Vanity Fair est au centre. Pas de concurrents directs, mais des publications qui gravitent autour, qui s’approchent, qui s’essayent, qui se poussent.

« Envisagez-vous de lancer une version pocket ? » s’égare une voix. Xavier Romatet en perd son latin. « Pas question », s’étouffe t-il.  Et pourquoi pas une paire de tongs offertes avec chaque numéro. « Nous ne nous n’adressons pas au plus grand nombre », fait comprendre Anne Boulay. D’ailleurs, Vanity Fair n’est pas un féminin, c’est « un magazine qui s’adresse aux femmes ». Vanity Fair, la vaniteuse, vise les cadres supérieurs hyper-diplômés et « wealthy ». Les annonceurs publicitaires ont eux aussi été triés sur le volet, selon ces mêmes critères : produits de beauté de luxe, haute-couture, soin haut-de-gamme. Les 96 pages de réclame contribuent à déterminer la cible visée par Vanity Fair, à savoir les femmes aux études longues (littéraires, surtout), qui ont eu le temps de murir intellectuellement, de noircir leur carnet d’adresse, et qui ont dépassé la « zone de turbulence professionnelle », ces années d’instabilité caractéristiques de tout début de carrière. La parisienne accomplie, en somme. Le statut, le standing, et le Vanity dans le sac. Vanité des vanités… la presse mondaine est née.

Sur ce même sujet :

L’arrivée de « Vanity Fair » en France inquiète la presse magazine (Le Monde)

« Vanity Fair », adapté à la baguette (Libération)

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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