Bretagne : Est-ce une émeute, ou bien une révolte ?

Des milliers de personnes se rassembleront une nouvelle fois ce samedi 2 novembre 2013, en Bretagne, en réaction à la crise du secteur agro-alimentaire qui frappe la région. La violence des manifestations récentes rappelle celle des incidents produits en automne 2005 dans les banlieues. Pourtant, le mouvement breton génère des réactions tout autres de la part des médias. Une commotion dans les cités, c’est une émeute. Un embrasement d’une zone rurale, et les médias identifient une révolte

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2005/2013 : deux automnes français

Le dernier grand mouvement populaire français mobilisant toute une zone du territoire national remonte à 2005, où un arc de quartiers populaires situés dans des communes limitrophes de Paris s’était embrasé. Huit ans après, en 2013, à échelle d’une région, c’est une zone rurale se soulève. On ne saurait amalgamer les deux mouvements. Les réalités spatiales d’une zone sensible urbaine et d’une zone rurale ne sont pas les mêmes. De plus, la révolte dans les banlieues était emmenée par des jeunes, tandis-que la révolte en Bretagne est un mouvement encouragé par des adultes. Pourtant, le courroux des cités de la région parisienne et la crise bretonne sont deux exemples de sursauts populaires présentant des caractéristiques équivalentes. Tout d’abord, il s’agit de crises qui s’enracinent dans des zones où le tissu socio-professionnel, peu diversifié, est brusquement déchiré par le chômage. En Bretagne, l’agro-alimentaire représente 1/3 de l’emploi. Les déboires en cascade des entreprises Doux, Tilly-Sabco, Marine Harvest et Gad menacent immédiatement 2000 emplois. Ensuite, dans les deux cas, la colère est déclenchée par un élément qui émane du pouvoir central : la mort de deux jeunes à Clichy Sous Bois, le 27 octobre 2005, suite à un comportement impropre des forces de police, et l’imposition d’une taxe aux agriculteurs, en ce qui concerne la Bretagne. Dans les communes rurales de l’Ouest du pays, le centime sur camembert a eu l’impact d’un électrochoc sur les populations. Interrogés par les chaînes de télévision, les habitants respectifs éprouvent un sentiment d’appartenance à une périphérie de la France. Ils regrettent et revendiquent à la fois de vivre dans ces espaces qu’ils estiment délaissés par l’Etat.Enfin, les modes d’expression de la colère, rassemblement de masse et destruction d’infrastructures appartenant à la communauté, sont identiques. En 2005, des bâtiments administratifs avaient été vandalisés. Le 27 octobre 2013, Le Figaro rapportait qu’un manifestant a eu la main arrachée, qu’un autre Un aurait été gravement blessé au cou par un tir de FlashBall. Un gendarme mobile aurait également été légèrement blessé par un projectile.

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Bretagne, le privilège de l’Histoire ?

Pourtant, la plupart des médias réservent un traitement radicalement différent à ces deux importants mouvements sociaux. Alors que le soulèvement de 2005 avait généré une pléthore de débats sur la question de l’intégration des enfants ou petits-enfants d’immigrés, le malaise breton est immédiatement situé sur l’axe de l’histoire de la France. Entendu au Journal Télévisé de France 2, vendredi 1er novembre 2013 : « La Bretagne s’exprimera une nouvelle fois…». Le Figaro, quant à lui, évoque une «fronde» contre l’écotaxe. La façon dont les médias ont interprété l’habile placement de produit de la maison Armor Lux, qui a offert 900 bonnets rouges aux manifestants bretons la semaine dernière, et qui a prévu d’en fabriquer 2500 exemplaires pour la manifestation prévue à Quimper aujourd’hui, samedi 2 novembre, est révélatrice d’une certaine légitimation historique du mouvement breton : la presse a expliqué toute cette semaine qu’au XVIIe siècle, le bonnet rouge faisait parti de l’accoutrement populaire dans la région de Carhaix, qui s’était soulevée contre la levée de nouvelles taxes, l’épisode étant resté connu sous le nom de révolte des Bonnets rouges. En 2005, certains manifestants (désignés par les médias sous le nom d’ «émeutiers») portaient leur pantalon à la manière des esclaves qui faisaient l’objet du commerce triangulaire, c’est à dire avec une jambe retroussée jusqu’au genou, pour signifier qu’ils se sentaient opprimés par le pouvoir central. Curieusement, les leçons d’histoires s’étaient alors faites rares. Comme si certains comportements appartenaient à l’histoire de la France, tandis que d’autres appartenaient seulement à son actualité — brûlante, en l’occurrence. Injuste considération des citoyens français issus des banlieues, mais des citoyens français de la Bretagne rurale, aussi : en se référant systématiquement au passé, les médias manquent le caractère nouveau de la crise bretonne actuelle, qui reste à peine évoqué dans le débat.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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