Hollande : un « capitaine de pédalo » au pilori

 

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Dossier spécial

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Bonnets rouges et rouge qui tâche

Avec 85% d’opinions défavorables (sondage réalisé sur internet le 14/11/13 par Yougov pour iTélé et le Huffington Post), Hollande fait figure de lanterne rouge des présidents de la cinquième République.

Cette semaine, la presse française et internationale l’ont définitivement cloué à la lanterne. Des analyses à déguster avec un ballon de gros rouge qui tache. Interrogés ce matin par la rédaction, deux des principaux ténors du gouvernement ont refusé de commenter.  

Du Hollande Bashing au Hollande Crying

Depuis l’investiture de François Hollande, la rue en fait voir de toutes les couleurs au gouvernement socialiste. Après le rose de la manif pour tous, les jeans multicolores des lycéens venus apporter leur soutien à Leonarda, les Bonnets Rouge bretons, la blanche hermine de la troupe Fourrure et Bottox est venue profaner la mémoire des soldats français morts pendant la Grande Guerre. Au constat d’incompétence, s’ajouterait à présent une incommensurable  impression de faiblesse. Le president bashing est un sport pratiqué au quotidien sur les réseaux sociaux, et dont les joutes sont intégralement retransmises par la presse. Tour à tour, les news magazines parient sur la rage pour ne pas être dans le rouge. L’hebdomadaire Challenges comparait non sans raison la verve de Valeurs Actuelles avec les Unes incendiaires de Marianne : « Quand le magazine de droite titre en mai dernier « Il nous fait honte », cette gentillesse adressée à François Hollande rappelle irrésistiblement « La honte de la cinquième République ». » (Challenges, 07/22/13). Notons tout de même que l’actuel président, à l’inverse de son prédécesseur, ne s’est jamais laissé piéger par les journalistes qui le tenaient en joue. Une attitude stoïque, qui force la presse à quitter le registre de l’agressivité grossière. Ces temps-ci, le Hollande bashing se mue timidement en de grands élans lyriques et larmoyants. Le Monde évoque « la lente et inexorable chute de l’exécutif et de sa majorité». (15/11/13). Du jamais lu. Doit-on parler d’un lynchage ? Au gouvernement, on veut éviter d’ajouter des commentaires aux commentaires. Contactés par téléphone ce samedi, les deux ministres socialistes Michel Sapin et Laurent Fabius nous ont cordialement envoyés sur les roses.

Hollande donnant une conférence de presse, sous l'oeil de son gouvernement
Hollande donnant une conférence de presse, sous l’oeil de son gouvernement

Hollande, lâché par les siens 

François Hollande serait un président titubant. Incapable de marcher droit, qui revient sans cesse sur ces décisions. Le parti socialiste est le premier a tirer à boulets rouges sur le président. Malek Boutih, propulsé député de l’Essonne à la faveur de la dynamique socialiste, non content de rayer le parquet de l’Assemblée, a entrepris de ronger les quatre pieds du fauteuil de Jean-Marc Ayrault. Dans un entretien au Parisien, Boutih assurait qu’ « il faut remplacer le Premier ministre d’urgence », tant « le gouvernement semble à la fois être devenu sourd et ne plus être entendu». Conspué dans son propre camp, le Premier ministre a suggéré aux indélicats, au premier rang desquels Malek Boutih, de garder leurs «petites manœuvres médiocres» pour eux. Et rappelé aux rats que le navire n’allait pas sombrer pour autant.

Revenant sur son bilan, le Nantais ne semble pas exclure la nécessité de louvoyer lorsqu’il s’agit de bien se positionner par rapport au pic de la vague. La communication du président de la République au sujet de l’application de l’éco-taxe en est un exemple, dont on ne peut juger immédiatement de la pertinence, sauf de rappeler qu’elle avait été initiée par la droite. « Cette réforme a été mal faite » et des régions, comme la Bretagne, seraient « très pénalisées », reconnaissait Jean-Marc Ayrault sur les ondes de France Info. Le Premier ministre a annoncé qu’il porterait la question devant le parlement. Etre buté et ne pas savoir revenir sur certaines décisions n’est pas forcément un gage de qualité. En revanche, toutes les hésitations ne sont pas salutaires. Par exemple, les atermoiements du gouvernement en matière fiscale ont certainement encouragé la baisse du nombre de créations d’entreprises au cours des 12 derniers mois, qui recule de 4,3 % par rapport aux 12 mois précédents.

Quant à l’augmentation du nombre de demandeurs d’emplois entre 2012 et 2013, elle est en partie imputable au manque de pragmatisme du gouvernement socialiste. En temps de crise internationale, taxer les entreprises et re-fiscaliser les heures supplémentaires est-il judicieux ? En octobre 2013, 3,29 millions de personnes étaient inscrites sur les listes de Pôle Emploi, cependant que la pauvreté s’épand à travers le pays. En France, 14,3 % de la population vit avec moins de 977 euros par mois. (INSEE, novembre 2013). La hausse de la TVA de 19,6 à 20% risque avant tout de paupériser les plus démunis. Le 14 novembre, Moscovici, ministre de l’économie, convoquait de son côté le sens civique des patrons des grandes enseignes de la distribution : « Je pense qu’il est important qu’il y ait aussi des comportements vertueux, notamment dans un secteur de la grande distribution qui doit montrer un engagement civique aux côtés des Français ». Il y a peu de chance que son appel soit écouté, s’il n’est doublé d’une loi.

Toujours est-il qu’après près de deux ans d’exercice à l’Elysée, ce président mou et sans panache aura tout de même fait passer dans la loi et dans les mœurs le mariage pour tous, entrepris une refonte des rythmes scolaires, se heurtant parfois à des maires peu coopérants, repositionné la France sur l’échiquier international en s’engageant au Mali, et en dernière date, renforcé le modèle culturel français : la Commission européenne a présenté jeudi 14 novembre ses nouvelles règles en matière d’aides d’État au secteur du cinéma. Concrètement, Aurélie Filippetti vient de sauver la production française de la délocalisation massive, et préserver du même coup entre 10 000 et 16 000 emplois dans le secteur du cinéma (source : CNC).

Climat de tension 

On impute enfin à François Hollande l’atmosphère de racisme et de xénophobie que respire actuellement la société française. Le manque de charisme du président ferait monter le mercure du côté des extrêmes. Le 18 octobre, un reportage de l’émission «Envoyé spécial» sur France 2 présentait une commerçante de 33 ans, Anne-Sophie Leclere, candidate FN à Rethel (Ardennes), se gaussant du  photomontage publié sur sa page Facebook qui montre, d’un côté un petit singe, de l’autre Christiane Taubira, avec les légendes «à 18 mois» et «maintenant». La dernière Une de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute renchérissait, persuadant de la perfidie de la ministre, qui aurait vu dans cette injure une formidable publicité : «Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane». Déjà, une affiche confectionnée en juin dernier par le collectif « Manif pour tous», soutenu par des personnalités politiques, représentait la garde des sceaux en gorille King Kong. Dernière en date : la conseillère municipale UMP de Combs-la-Ville, Claudine Declerck, a joint à son profil Facebook une caricature de la Garde des Sceaux légendée d’un slogan publicitaire pastiché en «Y’a pas bon Taubira». Certains quotidiens,  à l’instar de Libération, s’offusquent de la banalisation des paroles xénophobes chez les politiques. Un phénomène apparu bien avant le mandat de François Hollande. Les propos racistes qu’avaient générés les émeutes de 2005, notamment à l’endroit des citoyens de confession musulmane, se répètent aujourd’hui dans la bouche des notoriétés qui braillent des propos xénophobes.

Toutefois, certains membres de l’actuel gouvernement n’ont peut-être pas suffisamment anticipé ce climat de tension. Manuel Valls a fait preuve d’un manque patent de pédagogie dans la façon d’aborder l’immigration Rom (voir notre portrait de Manuel Valls). Le fantôme de Sarkozy siège toujours place Beauvau. A moins que le ministre Valls ne soit rien d’autre que l’ombre du député-maire socialiste de la ville d’Evry. Le 7 juin 2009, filmé dans une brocante de sa ville au milieu de gens de couleurs diverses, Valls ricanait ainsi à son directeur de cabinet : « Belle image de la ville d’Evry. Tu me mets quelques blancs, quelques whites, quelques blancos »

L’ère des présidents normaux

En réalité, ce qui met mal à l’aise les Français, c’est que François Hollande soit un président normal, ou plus exactement, un homme normal qui préside. S’il déchaîne une passion démesurée, c’est surtout parce qu’il a tenu à dépassionner sa fonction. Cette tendance à la désacralisation du président a été amorcée par Nicolas Sarkozy, qui a fini par être honnis du peuple et vilipendé comme aucun homme d’Etat en France ne l’avait été. En son temps, Chirac n’avait écopé que d’un flatteur portrait par les guignols, suivi religieusement tous les soirs par les Français. D’ailleurs, la chair de Chirac n’était pas montrée, elle était animée au travers de représentations carnavalesques que sont les marionnettes. Quand Sarkozy festoyait au Fouquet’s, les Français ont fait grincer leur couteau entre les dents. A bon droit, mais oubliant que son prédécesseur, bachelier de la cloche, dépensait abondamment en «frais de bouche», et pas pour déjeuner à la Brioche Dorée. Mais, alors que la presse aurait disséqué les tripes de Sarkozy, elle ne voyait chez Chirac qu’un esprit qui sait vivre, ou, tout au pire, un grivois glouton. Facebook, Twitter et YouTube ont flanqué les présidents d’un corps humain. Avec un nez au milieu de la figure. Qui peut même devenir rouge sous l’effet du froid. Le web est un clown triste. Depuis six mois, une photographie officielle du président en station droite sous la pluie est brandie sur les réseaux sociaux comme une métaphore d’un président qui fait couler son pays.  Le salaud ! Il prend l’eau ! Notons-le : Hollande s’est toujours montré digne, contrairement à Nicolas Sarkozy, qui s’était comporté en pilier de comptoir, beuglant «casse toi pov con» à un badaud qui l’avait accroché.

 Le président Hollande sous la pluie : un instantané, mille interprétations

Le président Hollande sous la pluie : un instantané, mille interprétations

Aimer Hollande ?

L’attitude générale des Français devant l’action du président révèle une conception primitive de la démocratie, pensée comme l’adéquation entre le pôle du pouvoir, d’un côté, et le pôle du peuple, de l’autre. Au premier d’envoyer un signal lumineux, à l’autre de renvoyer le signal identique. Ce faisant, on n’envisage pas la gouvernance, mais le pouvoir. Or, le président est une entité qui interagit avec les autres, lesquels sont insérés dans un tissu de relations complexes. Certaines relations ne sont pas palpables, à l’instar de l’enchevêtrement des lois ou des flux de capitaux ;  certaines sont tangibles,  comme les relations humaines ou professionnelles qui animent la vie active des Français, les relations entre les organes de services. L’exécutif communique d’ailleurs trop peu au sujet de ce qui relève de la solidarité sociale horizontale.

Au lieu d’agir par nous-même, on attend du président qu’il rassure, en irriguant la société de réformes qui vont la soulager immédiatement. La caresse d’un roi thaumaturge sur le cul des vaches. Quand son prédécesseur avait préféré enfiler la cape de Zorro, François Hollande répète simplement qu’il va garder le cap. Hollande parle peu. Il préconise peu. Prévoit peu. Prétend peu. Une personnalité qui devrait favoriser l’esprit d’initiative. Pourtant, les Français sont surpris de cette marque inhabituelle de libéralisme, qu’ils interprètent tantôt comme du laxisme, tantôt comme de l’autisme. Dans les rangs de la «manif pour tous», un homme dans la force de l’âge, généreusement bâti, visage dur, équilibrait tout son corps à une petite pancarte, écrite à la main : « Hollande n’est pas mon président ». Et si Hollande était le premier président à rompre avec une certaine confusion entre chef de l’état et père de famille ?

Doit-on aimer le président Hollande ? S’attirer les bonnes grâces de ses concitoyens relève-t-il d’une obligation consubstantielle à la fonction de chef d’Etat ? Et si Hollande était finalement le premier président à ne pas se réclamer de la dynastie des bisounours ? La fluctuation des sondages représente un baromètre efficace pour un candidat. Peut-être pas pour un président en exercice. Et si la cote désastreuse du président permettait aux Français de gagner en maturité, en entreprenant davantage par eux-mêmes au lieu d’être constamment suspendus aux lèvres du président de la République ?

Suite de ce dossier spécial tout au long du week-end, avec des réactions politiques de personnalités de la majorité et de l’opposition. 

 

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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