Syrie : sale temps pour les journalistes

 

PAPIER D’ANGLE

Dire que la Syrie est devenue le pays plus dangereux de la planète est évidemment un euphémisme. La banalisation des rapts (notamment de journalistes) et l’intensification des combats sur place, plus particulièrement dans le nord du pays, expliquent ainsi pourquoi presque plus aucun journaliste occidental n’ose s’aventurer là-bas depuis près un an.

Anthony Loyd, journaliste de guerre travaillant pour le quotidien britannique "The Times" est actuellement en convalescence dans un hôpital de Turquie.
Anthony Loyd, journaliste de guerre travaillant pour le quotidien britannique « The Times » est actuellement en convalescence dans un hôpital de Turquie.

Anthony Loyd et Jack Hill, deux journalistes très aguerris travaillant pour le quotidien britannique « The Times », sont les derniers reporters en date à y avoir mis les pieds, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne sont pas prêts d’oublier leur mésaventure :

Détenus mercredi dernier plusieurs heures durant par des rebelles, les journalistes ont été sauvagement molestés alors qu’ils tentaient de fuir. L’un d’eux a même écopé de deux balles dans la jambe. Dans leur malheur, les deux hommes ont tout de même pu regagner la Turquie mercredi dans la soirée. Vivants mais très éprouvés.

Le chaos sécuritaire ne justifie pas tout à lui seul dans la mesure où les violences n’ont jamais vraiment cessé en l’espace de trois ans en Syrie, mais de l’aveu général, jamais les conditions en matière de sécurité n’avaient été si déplorables. Cette semaine encore, ce ne sont pas des journalistes mais bien des civils qui ont été pris pour cible, toujours dans cette zone extrêmement volatile du nord du pays, à quelques encablures à peine de la Turquie.

L’explosion d’une voiture piégée au point de passage d’Azaz, du côté syrien de la frontière, a fait au moins 29 morts et des dizaines de blessés. Parmi les victimes figurent des femmes et des enfants, dont les corps ont été carbonisés. L’attaque revendiquée par les islamistes radicaux intervient tout juste trois mois après une autre explosion dans ce même secteur qui avait causé la mort de dizaines de personnes en février.

Azaz, ville frontalière du nord de la Syrie, en octobre 2012. Image : Intégrales Productions.
Azaz, ville frontalière du nord de la Syrie, en octobre 2012. Image : Intégrales Productions.

Dans ce contexte inédit de violence, le renoncement des ONG privées de toute ressource sécuritaire apparait comme la seule option possible. Celui en revanche des organisations étatiques internationales donne bien plus de raisons de polémiquer. Et plus encore de justifications tangibles à Bachar al-Assad qui a fait place neuve à deux semaines de sa réélection à la tête de l’état. Enchainant les victoires militaires et diplomatiques sur une opposition divisée et de plus en plus fragile, le Président syrien a aussi remporté la grande bataille des consciences : le 7 mai dernier, Homs, « capitale de la révolution », a été vidée de ses derniers rebelles, suite à un accord entre loyalistes et insurgés. Le président syrien a désormais les mains libres pendant que des populations entières prises en otage par un conflit qui s’enlise ont le sentiment d’être oubliées de tous.

 

Une récente étude intitulée « Anatomy for a crisis » publiée par Physicians for Human Rights, une ONG indépendante, a mis en lumière ce qu’il semble incontestable de qualifier d’entreprise de destruction du système de santé syrien mise en place par le régime Assad, pour venir à bout de l’insurrection. Selon la carte interactive qui appuie cette étude, plus de 450 professionnels de santé ont été tués  depuis le début de la guerre civile en 2011, dans 150 attaques menées contre une centaine d’hôpitaux, de cliniques ou d’ambulances. 90% d’entre elles ayant été délibérément perpétrées par les forces syriennes.

Ce rapport met ainsi en évidence la stratégie d’anéantissement du régime d’Assad responsable du bombardement systématique et répété d’une vingtaine d’hôpitaux depuis 2011, avec pour objectif de les voir fermer leurs portes définitivement. Le rapport précise que l’isolement géographique d’une partie d’entre eux corrobore la nature intentionnelle de ces bombardements, du point de vue du régime.

Avec la récente démission de Lakhdar Brahimi, émissaire de l’ONU et de la Ligue Arabe en Syrie, Bachar al-Assad remporte désormais aussi la grande bataille de l’image, en l’absence d’interlocuteurs de poids pour les négociations de paix, et face au désert médiatique dû à la dégradation des violences sur place.

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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