LIBYE : QUELLE PAIX ?

A N A L Y S E

En octobre dernier, Bernardino Leon, émissaire spécial de l’ONU en Libye, affichait en comité privé un sourire de façade alors que le pays s’enfonçait inexorablement dans les violences. Mais cette assurance convenue contrastait singulièrement avec les propos que celui-ci me livrât, quelques minutes plus tard, dans l’avion privé qui conduisait sa délégation à Ghadamès (sud libyen), où les deux parties en présence devaient se rencontrer pour la première fois depuis l’émergence des violences du mois d’aout. Mettant sérieusement en cause la possibilité d’une solution pacifique entre les islamistes qui contrôlent Tripoli et les « libéraux » réfugiés à Tobrouk, alors même que les premiers pourparlers de paix menés sous l’égide de l’ONU étaient sur le point de se tenir dans le sud du pays, le diplomate espagnol m’avait alors fait cet aveu de taille, qui en dit long sur la fragilité des pourparlers menés sous l’égide de l’ONU :

« Je ne crois pas qu’on arrivera à quelque chose. Mais notre rôle, en tant qu’institution internationale de paix, c’est d’essayer. On a dû forcer les deux camps en présence pour qu’ils acceptent de s’asseoir à la même table. C’est dire… »

Place des Martyrs, à Tripoli, en octobre dernier. Photo : Intégrales productions
Place des Martyrs, à Tripoli, en octobre dernier. Photo : Intégrales productions

Pourquoi, des milliers de morts plus tard, la situation devrait-elle changer comme par enchantement ? Certes, la menace djihadiste qui pèse sur la Libye est désormais identifiée et patente, puisque la ville de Derna, dans l’est du pays, est devenue en l’espace de quelques mois à peine le premier territoire de l’organisation Etat Islamique hors des frontière du « califat », et que la radicalisation du conflit en Irak et en Syrie suscite désormais plus que jamais l’inquiétude des pays européens, dont les frontières avec la Libye ne sont distantes au fond que de 500 kilomètres à peine. Mais cela suffit-il pour autant à justifier une intervention étrangère dangereuse et couteuse, en plus d’être stratégiquement périlleuse car elle impliquerait de choisir entre un camp ou un autre ?

Dernier checkpoint des fondamentalistes d'"Ansar-al Charia" avant la sortie de Benghazi
Dernier checkpoint des fondamentalistes d' »Ansar-al Charia » avant la sortie de Benghazi. Des drapeaux noirs distinctifs sont plantés dans toutes les parties contrôlées par les islamistes.

Trois heures après la fin de la réunion déjà qualifiée à l’époque de « la dernière chance », les deux parties convenaient dans un concert d’enthousiasme immodéré que le meilleur était à venir, avant que moins de 24 heures plus tard leurs bases respectives ne reprennent les hostilités et ne fassent capoter les efforts de conciliation pour de bon. On connait désormais la suite.

Pour me rendre compte du degré de radicalisation auquel les populations de l’Est du pays font face depuis près d’un an maintenant, je me suis alors absenté quelques jours de Tripoli la capitale, où règne un calme relatif, pour prendre la route de Benghazi, secouée par les violences depuis près d’un an : un périple chaotique et périlleux compte-tenu du fait que deux confrères tunisiens disparus depuis plusieurs mois dans ce secteur (selon l’ambassade tunisienne, les deux reporters seraient en vie) manquaient toujours à l’appel et que journalistes locaux et étrangers convenaient raisonnablement qu’éviter le berceau de la révolution de 2011, envahi par les drapeaux noirs, était ce que l’on peut raisonnablement qualifier de sage décision.

Un drapeau noir flottant en plein centre de Benghazi. Image : F.A / Intégrales Productions
Un drapeau noir flottant en plein centre de Benghazi. Image : F.A / Intégrales Productions

Incontestablement, l’Est libyen, en proie aux exactions des fondamentalistes de la « choura » qui ont eux-mêmes fait allégeance à l’organisation terroriste « Ansar al-charia », n’a cessé depuis de s’enfoncer dans une extravagante spirale de violence. Les fondamentalistes ne sont pas seuls en cause : car en dépit des appels à la raison lancés dans son propre camp, le général à la retraite Khalifa Haftar, artisan de l’opération « dignité » mise en place pour déloger les islamistes, a toujours fait cavalier seul, quitte pour cela à faire payer un lourd tribut à ses hommes, dont plus de 3.000 ont péri dans les combats contre les milices, principalement dans l’Est du pays.

La nouveauté, la seule sans doute, dans ces efforts de paix onusiens, qui semble indiquer que l’institution semble enfin s’émouvoir de la situation libyenne, c’est que c’est bien Genève qui se fera l’hôte des discussions, qui habituellement se limitaient à de réunions académiques peu concluantes organisées tantôt en Libye, tantôt en Tunisie.

Les hostilités se poursuivant toujours à cette heure, y compris sur le front de l’Ouest libyen dans la région de Zentan notamment, il est difficile d’imaginer que d’un coup d’un seul, les combattants acceptent sans rechigner d’enterrer la hache de guerre, quand on sait que le plus gros des armes amassées après la révolution de 2011 se trouve entre leurs mains.

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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