Egypte : où sont passés les indignés d’hier ?

 

 

T R I B U N E     L I  B R E

 

par Farouk Atig et Clara Schmelck 

 

Comme il semble bien lointain et pourtant si proche ce temps où intellectuels, politiques et indignés français de tout premier plan hurlaient au scandale sur toutes les télévisions du vieux continent, dénonçant le verbe haut la destitution dont a arbitrairement été victime le premier Président élu d’Egypte, le 3 juillet 2013, pour avoir été renversé après seulement un an d’exercice.

Congédié par le chef des armées Abdel Fattah al Sissi qui n’allait pas tarder à se faire élire à sa place, Mohamed Morsi croupit depuis dans une geôle de la capitale et vient d’écoper de 20 années de réclusion par un tribunal du Caire qui l’a reconnu coupable d’avoir encouragé, ou du moins laissé faire, ses propres partisans, dont les violences à l’égard de manifestants d’une très large opposition ont causé la mort de dizaines de personnes, tout au long du mois de décembre 2012, alors que le raïs était encore à la tête de l’Egypte.

Accusé, Morsi, d’avoir été l’instigateur direct de sévices arbitraires, d’enlèvements et de tortures contre une large frange d’opposants : une sentence prononcée par un tribunal « indépendant », à en croire en tous cas les récits plus ou moins équanimes de médias égyptiens, repris sans doute ni remous jusque dans nos propres latitudes.

Prière dans les rues du  Caire. Photo : Intégrales Productions
Prière dans les rues du Caire. Photo : Intégrales Productions

A l’époque -nous parlons ici des semaines qui ont suivi sa destitution- l’excessive et maladroite chasse aux sorcières menée contre militants et hiérarques de Justice et Libertés, la vitrine politique des frères musulmans, autant que l’acharnement impudent dont ont été victimes les principaux leaders de la confrérie, qui ont tous sans exception fini par la case prison, n’avaient pas manqué de soulever l’indignation générale de ce côté-ci du monde libre, où politiciens de gauche comme de droite qualifiaient légitimement de « coup d’état militaire » la manœuvre intentionnelle et minutieusement préparée par l’état-major égyptien qui entendait ainsi se débarrasser d’un leader aux méthodes jugées contraires aux principes démocratiques élémentaires censés régir un état de droit.

Même si « l’acquittement des charges d’incitation au meurtre a surpris » comme le rappelle Le Monde, dans la mesure où tous les observateurs avaient imaginé un verdict bien plus sévère pour ce procès d’envergure dans la lignée des dizaines et dizaines de peines capitales déjà prononcées contre les partisans et les principaux dirigeants de la confrérie islamiste, la sagesse recommande de garder en mémoire que ces sanctions sciemment distribuées par le régime militaire ne sont ni plus ni moins qu’un effet de manche politique.

Rappelons nous des quelques 1400 manifestants exécutés par les forces de l’ordre dès l’été 2013, de la mort des journalistes Ahmad Abdel Gawad et Mosab Al-Shamides le 14 août, et des milliers de partisans islamistes ou apparentés, qu’il a jetés en prison : on parle ni plus ni moins que de 15 000 Egyptiens mis à l’écart pour leurs seules idéologies ou convictions politiques, de mosquées et églises coptes incendiées, d’une université partiellement laissée à la vindicte des flammes.

Lorsque Morsi a été destitué par l’armée, et remplacé sur le champ par un président intérimaire, Adly Mansour, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, avait estimé « la situation préoccupante ». Révolution ou coup d’Etat, questionnait alors l’opinion internationale, entre embarras et condamnations aussi. Les réactions au renversement du président Morsi par l’armée dénotaient un inconfort, pour ne pas dire une crainte légitime d’une instabilité dans cette partie déjà capricieuse du monde.

Le chef de la diplomatie allemande évoquait par exemple un « un échec majeur pour la démocratie en Egypte ».

Depuis, désert diplomatique : la communauté internationale n’a pas quitté la tête du sable.

Commotion au Caire. Photo : F.A, Intégrales Productions
Commotion au Caire. Photo : F.A, Intégrales Productions


Certes, l’ex-président islamiste a échappé à la peine de mort comme n’ont pas manqué de le rappeler de nombreux médias, mais n’en oublions pas pour autant que d’autres chefs d’accusation pèsent toujours sur l’ancien raïs, qui pourrait plus tôt que prévu goûter à la lame vengeresse du régime militaire. Il risque en effet la peine capitale dans d’autres procès qui lui sont intentés, un pour « espionnage », un autre pour évasion de prison. Verdict le 16 mai pour ces deux cas de figure.

Alors que s’est-il passé au juste pour que l’apraxie des uns ne mène une partie des autres à l’oubli le plus total ? Qu’est-il advenu en définitive pour que le destin d’un homme renversé par la force et dont on peut certes légitimement contester le bilan, soit relégué aux oubliettes si facilement ?

La réponse se trouve à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Egypte, autant que dans l’apathie consensuelle des dirigeants des grandes démocraties, crispées par le vantail djihadiste : il y eut d’abord l’Etat Islamique (EI) dont l’ascendance a grignoté les frontières jugées raisonnables de la menace.

En amont bien entendu, les guerres en Irak et en Syrie, qui ont catapulté tous les espoirs de paix, et donné par la même occasion une légitimité aux gouvernants de répondre par les armes à l’arbitraire des armes.

Sans oublier, enfin, l’hégémonie même des fondamentalistes dans le Sinaï et aussi en Libye, qui ébranle à présent officiellement même le monde libre.

 

Dans ce fatras de morts et de mots, face à cette accumulation de situations qu’il devient de plus en plus difficile de situer, tout discours paraît s’écouler dans un vide spatio-temporel, et l’acuité critique des politiques et des intellectuels, comme intimidée par cette brume de sable et de poudre, semble se réduire de plus en plus à une ténue litanie livide.

 

 

 

Grand reporter, Farouk Atig a collaboré avec de nombreux médias comme Channel 4, CNN, Paris Match ou encore Arte. Il est rédacteur en chef d’Intégrales Mag.

Journaliste et philosophe des médias, Clara Schmelck est rédactrice en chef adjointe d’intégrales Mag.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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