Quand le groupe « Etat Islamique » met en vente le patrimoine de l’humanité sur Facebook

L’exposition d’oeuvres pillées issues du patrimoine mondial de l’humanité sur les réseaux sociaux occidentaux marque un changement de cap dans la communication à grande échelle du groupe Etat Islamique. Après la propagande de la terreur, l’organisation fondamentaliste mise sur la propagande de la confusion et du nihilisme. Analyse

Des pièces de musée proposées librement à la vente sur Facebook : c’est ainsi que le groupe « Etat Islamique » récolterait des millions dans le lucratif trafic des antiquités, selon le journaliste américain  Zaïd Benjamin, qui a pris une capture d’écran sur une page turque du réseau social américain.

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Le quotidien britannique Daily Mail affirme que des objets, dont certains seraient vieux de 10.000 ans, en provenance de Raqqa, la capitale auto-proclamée d’EI en Syrie, se vendent plus d’1 million de dollars US pièce, et quittent clandestinement la Syrie et l’Irak par la Turquie, le Liban.  « Daech » ne se contente donc plus de la vente les objets antiques pillés dans les musées à des collectionneurs d’Occident et du Golfe voisin, à travers un réseau de contrebandiers et d’intermédiaires locaux.

Changement de cap dans la propagande du groupe EI

Ces informations restent à vérifier, mais elles sembles aller dans le sens du tournant qu’est entrain de prendre le mode opératoire du groupe islamiste ces temps-ci.

 On savait que « Daech » dégageait une puissance destructrice, dont la propagande savamment calquée sur les codes occidentaux contemporains de la communication de masse servait le désir de se constituer comme force essentiellement destructurante.

Ces mois-ci, le groupe va plus loin en orchestrant la mise en scène des suites de pillages d’oeuvres d’art en Irak et en Syrie. Des sources syriennes font état d’une aggravation désastreuse des fouilles clandestines de sites archéologiques et des pillages de musées en Syrie.

Le groupe entend signer la caducité du concert des nations, incarné notamment par l’institution de l’UNESCO, qui vient de consacrer en 2015 une page internet intitulée « Sauvegarder le patrimoine culturel syrien » visant à identifier les dommages que la guerre en Syrie, entrée dans sa quatrième année, a infligés aux vestiges historiques du pays.

Mais, si le pillage de biens et sa revendication répond encore à l’imaginaire « classique » que nous avons de la guerre et des groupes de destruction, la revente de ces biens à des particuliers anonymes sur Facebook va plus loin dans le funeste effort de propagande de « Daech ».

Plus profondément, disloquer – plutôt que d’anéantir un trésor commun du passé qui permettait de périodiser l’histoire, à savoir les oeuvres classifiées d’un musée ou des monuments, revient à fermer toute possibilité de futurition, à ’interdire tout principe de dépassement. En clair, l’EI confisque ce qui fait partie du passé de l’humanité pour s’approprier l’avenir de ce passé : « on fait ce qu’on veut de vos musées et de vos monuments ».

Par ce théâtre de l’absurde, qui contraint les spectateurs malgré eux de participer activement à la destruction de ce qui nous a tous construit, à savoir la civilisation, le groupe fondamentaliste libère sa composante nihiliste, et en fait un vecteur de propagande plus persuasif que la terreur vive, comme ce fut le cas en 2014 avec la diffusion des vidéos des journalistes occidentaux décapités.

Le procédé qui consiste à étaler insolemment un juteux trafic du patrimoine culturel mondial entraîne des centaines de jeunes internautes à se persuader de la désuétude de l’idée d’humanité. Comment, en effet, les plus jeunes peuvent se faire enseigner l’Histoire quand ils s’aperçoivent que les civilisations dont on leur fait le récit correspondent à des restes éclatés et laissés sans loi à la vente sur Facebook, au beau milieu des lol caTs et autres photos de vacances ? Pourquoi, donc, iraient-il lutter contre « Daech » ? Sur le long terme, Daech prépare les cerveaux à accepter l’existence du groupe fondamentaliste islamiste , voire à le rejoindre.

Détourner l’attention des occidentaux 

En même temps, exposer à un plus grand nombre de personnes possibles le trafic d’oeuvres d’art répond à un impératif stratégique à court terme. Le but du groupe EI est de fixer les puissances occidentales « sur les ruines plutôt que les vies ruinées en Syrie », explique Hassan Hassan, l’auteur d’ Inside the Army of Terror et Associate Fellow à Chatham House (Etats-Unis). Une façon qui permet à « Daech » de détourner l’attention de la communauté internationale sur les crimes commis et sur l’éventuelle préparation d’armes chimiques.

Depuis ce même réseau social où s’écoulent les vases de la dynastie Abbasside pillés par le groupe fondamentaliste , sont recrutés au compte-goutte des chercheurs issues d’universités occidentales.

 

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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