de notre envoyé spécial en Libye
Il n’en aura donc pas fallu beaucoup pour que l’une des rares représentations diplomatiques étrangères encore actives et présentes en Libye ne finisse pas jeter l’éponge à son tour, face au chaos généralisé et à l’instabilité qui règnent en Tripolitaine autant qu’en Cyrénaïque ou au Fezzan.
Dix jours après l’enlèvement de 10 employés du consulat tunisien de Tripoli par des milices radicales des islamistes dits modérés du groupe « Fajr Libya » (Aube Libyenne, ndlr), le soulagement prédomine à Tunis, mais c’est un calme plus que précaire et très relatif qui prévaut toujours de l’autre côté de la frontière, où les craintes d’attentats-suicides ont clairement refait surface en ce début de ramadan.
Derrière les démentis peu engageants cadencés par les deux capitales, l’organisation islamiste qui contrôle la majorité de la Libye a de quoi pavaner, jettant par la même occasion le discrédit sur la théorie selon laquelle aucune pression ni aucun chantage n’auraient favorisé cette libération, intervenue quasi simultanément avec l’extradition de Walid Glib, un ténor de L’Aube Libyenne, réputé pour ses positionnements idéologiques très radicaux, et que beaucoup accusent de proximité avec les djihadistes de l’Etat Islamique, qui ont pris l’ensemble de la ville de Syrte et contrôlent désormais une large bande de la côte méditerranéenne.
« Il s’agit d’une décision de justice et non d’un chantage ou d’un échange de prisonniers », claironnait ce vendredi le ministre tunisien des Affaires étrangères sur le tarmac de l’aéroport de Tunis, où celui-ci était venu accueillir ses 10 diplomates. Dans la réalité, ce rapt -intervenu en plein jour par une dizaine d’hommes lourdement armés qui n’ont pas hésité à faire irruption au sein de la représentation diplomatique tunisienne- démontre que ce moyen de pression a prouvé son efficacité en Libye ; puisque c’est bien l’enlèvement comme outil de négociation qui a permis seul de monnayer la libération de Walid Glib, qui était détenu depuis le mois de mai en Tunisie dans le cadre d’une enquête pour « terrorisme ».
Derrière la fermeté de façade des autorités tunisiennes, l’assaut mené sur le consulat de Tripoli ajoute une corde de plus à l’arc belliqueux des milices, minées elles-mêmes par les divisions internes, et que les atermoiements de leurs propres représentants politiques ne suffisent plus à apaiser.
Jeudi, notre équipe a fait les frais de cette précarité. Retenus à la frontière pour d’illégitimes et curieuses motivations administratives, refoulés tout aussi bien par les douaniers tunisiens que les mercenaires libyens stationnés au poste-frontière de Res el Jedir, une partie de notre matériel a aussi été purement et simplement subtilisée par des douaniers tunisiens, qui ont profité d’un contrôle d’identité pour agir en toute impunité.
De leur côté, les hommes de l’Aube Libyenne qui défilaient les uns après les autres vers nous tout au long de la nuit dans le but de nous narguer et tenter de nous soutirer quelques billets, ont fait de nous leurs otages pendant près de 15 heures, nous laissant aussi sans boire ni manger comme pour nous indiquer qu’on ne « rentre pas impunément en Libye », alors même que des visas en bonne et due forme avaient été délivrés à notre attention.
Pis : balayant catégoriquement l’idée même que puisse nous être octroyé le droit fondamental d’avertir les autorités françaises qui s’inquiétaient pour notre sort, les miliciens de l’Aube Libyenne, alcoolisés et prêts à en découdre, ont préféré l’insulte et la remontrance musclée au dialogue, refusant aussi de nous autoriser à dormir quelques heures.
Des deux côtés de cette poreuse et instable frontière, consigne nous a systématiquement été donnée de déguerpir sans justification. Sans non plus pouvoir faire un pas de plus d’un côté ou de l’autre au risque d’être pris à partie.
Dans ces conditions et vu la volatilité qui domine à Tripoli et ailleurs, la décision des autorités tunisiennes condamnées à fermer leur représentation consulaire à Tripoli apparaît comme le seul recours possible.
Mais c’est surtout un aveu d’échec qui révèle l’impuissance des nations arabes du voisinage, plus préoccupées par leurs propres menaces intérieures en matière de terrorisme, que par l’instabilité libyenne dont les répercussions vont bien au-delà de ses simples frontières.
Farouk Atig
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