Affaire Fillon : comment les réseaux sociaux encouragent un changement de culture

A travers leur vive réaction sur les réseaux sociaux, les Français n’expriment pas simplement une déception vis-à-vis d’une caste d’élus qui s’accorderait des privilèges. Ils tiennent à réclamer un changement de culture, manifestant ainsi leur attachement aux principes de la République.

Lorsque Le Canard Enchaîné  publie une lettre de quatre lignes signée par Bokassa, où le chef de l’État de la république centrafricaine, demande à son « comptoir national du diamant » de sortir « un plaquette de 30 carats » destinée au ministre des finances de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, les Français grincent, mais la majorité d’entre-eux accorde  tout de même son suffrage à  VGE.

Quand François Mitterand, par le truchement d’André Bettencourt, un ami de jeunesse, dirige quelques mois le magazine féminin Votre beauté, publié par L’Oréal à la Libération, l’opinion s’offusque peu. En 1986, Mitterrand envisagera même de faire d’André Bettencourt son Premier ministre, se souvient Les Inrocks en 2010.

On s’en rappelle : dans l’histoire de la Vème République, les députés et les ministres se sont souvent octroyé des privilèges, à discrétion. L’affaire Penelope Fillon remonte aux années 90-2000, soit une époque où certaines pratiques, aujourd’hui révolues, avaient cours à l’Assemblée nationale sans que des réseaux sociaux ne viennent amplifier un cas de corruption relevé par la presse.

Transparence risquée ?

Il est évident que l’amplification des affaires à travers des commentaires grinçants voire insultants sur les réseaux sociaux nourrissent l’hostilité envers la corruption des parlementaires.

Cette transparence des pratiques des politiques relevant de la morale publique,  installée de facto par les réseaux sociaux, n’est-elle pas un danger pour l’Etat, et à plus forte raison pour la République ?

« Cela ne peut que renforcer la défiance à l’égard d’une «classe» politique, terrible pour notre démocratie. », craint l’historien Christian Delporte.

A lire les salves de commentaires sur Facebook et sur Twitter au sujet de l’affaire Fillon et de son épouse – Thénardier pour les uns, Marie-Antoinette pour les autres, ou encore Emma Bovary-  l’opinion semble estimer que l’État, qui s’incarne dans les instituions de la Vème République, exprime le caractère inconciliable de l’antagonisme des classes.

Pour l’écriture de deux  recensions totalisant 3 500 signes, Penelope Fillon, l’épouse de François Fillon, aurait été rémunérée 100 000 euros, soit 28,57 euros le signe par La Revue des Deux Monde, une publication appartenant au milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, un soutien de longue date du candidat investi par LR. Dénonçant avec humour le hiatus entre la réalité du salariat et la rémunération de Penelope Fillon, un internaute a imaginé « Le générateur de thunes Penelope Fillon », qui convertit le tarif de la «pige » au « tarif Pénélope ». L’Etat perd sa légitimité s’il se met à protéger les intérêts particuliers des classes dirigeantes au détriment de l’intérêt commun.

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Attachement à la République 

Si l’affaire Fillon suscite davantage de commotion que les Panama Papers sur les réseaux sociaux, force est de remarquer qu’aux yeux des Français, le politique n’a pas le droit de subordonner la morale à l’intérêt : l’idée profondément ancrée dans l’esprit des Français est que la politique est la science de faire pour le mieux, au sens moral du terme.

Les critiques argumentées et les tweets critiquant le comportement de François Fillon, accusé notamment d’avoir offert à son épouse un emploi fictif avec des fonds appartenant au trésor public national sont porteurs de la conscience révolutionnaire héritée de 1789. En effet, la notion de morale publique est un des topos des penseurs qui ont inspiré les révolutionnaires, à l’instar de Montesquieu, pour qui la probité est la condition si ne qua non de l’existence de la République.

Dans une lettre ouverte à la famille Fillon sur Facebook, une infirmière de l’AP-HP Santé Indignée dénonce le hiatus indécent entre les membres de la société française, et réaffirme par cet acte la République comme une nation non pas de sujets mais de citoyens égaux  :  « Je suis infirmière depuis plus de 12 ans (…) Je travaille en 12 heures et comme j’ai fait 3 week-ends et 10 nuits en décembre, je touche 1745 euros nets d’impôts. On est très loin des sommes à 6 ou 7 chiffres dont j’entends parler à la télé depuis une semaine. ». Publié le 1er février, le post a été partagé plus de 54 000 fois sur Facebook.

S’informer mutuellement 

Les réseaux sociaux ne sont pas seulement une place publique où le blâme populaire est écouté. Il sont aussi un lieu fréquenté par des citoyens d’horizons professionnels très différents, et qui sont parfois prêts à s’écouter les uns les autres et à s’apporter mutuellement des informations. Et c’est en cela qu’ils permettent aux principes de la République de prendre vie.

« Certains députés se reversaient une part des crédits collaborateurs mais dans la limite de 6 000€/an. Loin, très loin, du salaire de Pénelope Fillon. Comme certains avançaient comme argument que, s’il employait ou non sa femme, Fillon aurait quand même touché la même enveloppe budgétaire. », détaille Perrine Tarneaud, rédactrice en chef de la chaîne Public Sénat, sur un post Facebook où elle indique un article de son confrère François Vignal.

« La pratique du transfert sur l’IRFM était tout à fait autorisée par l’Assemblée nationale. Les services du Palais bourbon envoyaient même un courrier aux députés à l’automne pour leur rappeler le choix qui s’offrait à eux. S’il est difficile à dire depuis quand la pratique existe, en 2003, le système s’arrête, explique Public Sénat, citant un courrier envoyé aux députés : « En raison du plafonnement de l’IRFM, il n’est plus possible d’opérer un transfert d’une partie du crédit collaborateur sur cette indemnité » explique l’Assemblée dans un courrier envoyé aux députés. En 2004, le transfert est à nouveau permis, mais le système est définitivement stoppé en 2012, lors du changement de majorité, peut-on lire dans l’article.

En apportant sur un réseau ouvert sa connaissance du milieu parlementaire, la journaliste démocratise ainsi l’accès aux lois et aux pratiques des élus politiques. Elle répond à deux sortes de critiques passionnelles qui sont toutes deux en mesure de menacer le bon fonctionnement de la vie démocratique de la République : d’une part, la tentation d’un discours teinté d’anti-parlementarisme : « les élites » que sont les parlementaires confisquent tous le pouvoir au peuple pour « s’engraisser » sans avoir de comptes à rendre à qui que se soit ; de l’autre, la théorie du complot, ourdie par ceux qui fustigent un «tribunal médiatique». Les premiers veulent des têtes sur une pique, les seconds n’acceptent pas que la presse se pique d’un candidat pas aussi « propre » qu’il avait bien voulu faire croire au début de sa campagne.

 

Les gens savent

L’affaire Fillon, certes, a été mis sur le devant des actualités. Les citoyens, via les réseaux sociaux, ont pu entendre ce qui autrefois ne se murmurait que sous les dorures des cercles autorisés. On n’imagine pas François Mitterrand devant se justifier sur Twitter de ses heures de présence à Votre Beauté.

A présent, les gens savent. Sur Google, ils recherchent la biographie des personnes visées par des enquêtes dans la presse, ils consultent les sites de Fact Checking développés par les médias, discutent entre-eux sur Facebook et Twitter, contactent sur ces mêmes réseaux des attachés parlementaires pour obtenir des informations au sujet de leur émolument et de leur conditions de vie.

L’affaire Fillon, quelle que soit son issue, est peut-être le moment de la Vème République où les castes sont en train d’éclater. Et ce n’est pas cela qui va la fragiliser, bien au contraire.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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