Réforme de l’audiovisuel public : Françoise Nyssen expose à la presse son agenda

Lundi, la ministre de la Culture a convié la presse à prendre note de l’agenda des garndes orientations de la réforme, voulues par l’Élysée pour fin 2018. Au programme, la jeunesse et l’éducation, la lutte contre la désinformation, l’ancrage territorial des offres régionales, la création française, et les économies d’échelles.

A l’issue d’un travail préparatoire conduit depuis l’automne dernier par les patrons de l’audiovisuel public, le ministère de la Culture, les experts audiovisuels rattachés au départ à « Cap 2022 » , un comité qui travaille plus généralement sur la transformation de l’action publique, et des députés, Françoise Nyssen, entourée des patrons des groupes, a communiqué ce lundi à 11 heures devant l’ensemble de la presse les orientations retenues.

– Ce qu’il faut retenir des annonces de Françoise Nyssen –

1. Conquérir les jeunes

Françoise Nyssen a insisté sur l’importance d’attirer et fidéliser le jeune public, qui éteint la télévision publique aux profit des plateformes d’offres audiovisuelles telles qu netflix ou Amazon. Un manque qui représente un tiers de la population française, estime t-elle. Et, « Manquer cette génération, c’est manquer les suivantes », a-t-elle fait observer, avant d’annoncer deux projets de plateformes en ligne compilant des contenus issus des groupes de l’audiovisuel public : la première, dédiée à la culture, sera lancée fin juin, et la seconde ciblera la jeunesse. Aussi, Françoise Nyssen a confirmé que France Télévisions devra libérer « au moins le canal hertzien » de sa chaîne jeunesse France 4, «afin de recentrer sur le numérique son offre dédiée au jeune public».

2. Lutter contre la désinformation
Bouclier contre la «désinformation», ou fausses nouvelles intentionnellement rédigées dans le but d’influencer des publics choisis, Le site de Franceinfo hébergera dès mercredi 6 juin une « plateforme commune de décryptage des fausses nouvelles » : «Le service public doit aussi être notre première arme contre la désinformation. Une plateforme commune de décryptage des fausses nouvelles sera hébergée sur le site de franceinfo. Elle sera lancée ce mercredi », a précisé Françoise Nyssen.

3. Privilégier l’Education

Attirer les jeunes et leur éviter de s’informer mal, c’est la mission du service puboic,a dit en substance Françoise Nyssen. Une offre commune en matière d’éducation de type «tutorat» grand public sera lancée. Cela devrait clarifier l’offre de l’audiovisuel public en la matière. De plus, une offre « jeunesse » commune à Radio France, France Télévisions et France Médias Monde, avec des formats courts et qui prétendent être innovants. »L’investissement dans les contenus jeunesse, connaissance, éducation sera amplifié mais en repensant l’équilibre entre les offres linéaires et numériques, a déclaré la ministre de la culture et de la communication sans toutefois chiffrer cette intention. Son modèle ? La BBC, que les jeunes britanniques plébiscitent, juge t-elle. «Nous voulons nous en inspirer », n’a pas caché la ministre.

4. Encourager la création française

« Ensemble, nous allons aussi construire un média qui prend des risques en matière de création. J’ai sanctuarisé les 560 millions d’euros investis chaque année dans la production de films, de séries, de documentaires, de films d’animation et de captations de spectacles vivants. Les médias de service public resteront les premiers partenaires de la création audiovisuelle française », a développé la ministre de la culture et de la communication. En conséquence, l’offre numérique de l’audiovisuel public devrait être renforcée fin juin par un nouveau média des arts et de la culture, rassemblant des centaines d’heures de captations, des podcasts, des webseries, à partir des offres des six sociétés. Il sera lancé fin juin.
Les chaînes de l’audiovisuel public vont pour la première fois lancer un appel d’offres commun, pour « expérimenter de nouvelles formes d’écritures sur les réseaux sociaux », a annoncé la patronne d’Arte France, Véronique Cayla.

5. Muscler l’offre régionale

Une coopération entre France 3 et France Bleu doit déboucher sur ce média quotidien davantage ancré dans des sujets régionaux. «Une proximité que les médias privés délaissent alors que les Français la réclament», assure Françoise Nyssen. La ministre souhaite ainsi également que le nombre d’heures au quotidien de programmes locaux sur France 3 triple.

6. Réaliser des économies et bouleverser les modes de management

Si le calendrier législatif de la réforme de l’audiovisuel public a été repoussé à « courant 2019 » avec des lois sur « la réforme de la gouvernance », « le financement » et « la régulation à l’heure du numérique », Françoise Nyssen a annoncé la couleur : aux entreprises du secteur, elle a lancé, telles des injonctions, que « les synergies entre sociétés vont se développer, pour permettre à l’audiovisuel public d’innover, de gagner en performance et en visibilité » et qu’il a « faudra également qu’elles dégagent des gains d’efficience et des économies pour financer les priorités. Il y a des marges de manoeuvre, nous le savons, et la mutation des sociétés passe aussi par une profonde transformation de leur organisation et de leur mode de management », a-elle dit encore.

– Décryptage –

Le vocabulaire de l’entreprise

L’orientation lexicale de la ministre et l’emploi fréquent du futur à valeur d’impératif sont autant d’éléments qui dénotent une inscription du domaine culturel dans le champ de l’entreprise, orientation voulue par le président Macron. «Prise de risques», «conquête (de l’audience), «économies», «gains d’efficience» sont des termes de management qui ont jalonné l’intervention de Françoise Nyssen.

2. La démocratie mise sur « pause »

Les interrogations et demandes de précision de la part des journalistes ne manquaient pas, et pourtant, la ministre en charge de l’audiovisuel public a zappé les questions. Par exemple, l’État veut réaliser des économies, chiffrées entre 250 et 500 millions d’euros d’ici à 2022 sur un budget total de 3,9 milliards d’euros en 2018. Or, la ministre n’a pas détaillé le calendrier des coupes budgétaires, et n’a pas communiqué les services qui subiraient ces entailles.

Il est étonnant que Françoise Nyssen ait accordé un long entretien au seul quotidien Le Monde, interview publié lundi 4 juin à 10h00 sur le site du journal et qui a circulé sur le tout-internet avant même l’intervention de la ministre à 11h. L’entretien, «l’audiovisuel public doit anticiper et oser» prenait presque la forme d’une tribune libre et court-circuitait tout effet d’annonce devant l’ensemble des journalistes. Cette manière d’agir fait passer le message, pour ne pas dire l’affront : « je n’ai rien à dire aux journalistes ».

A l’issue de sa conférence à la presse (davantage qu’une conférence de presse), la ministre n’a pas ménagé de temps pour répondre aux questions des journalistes. Elle a filé sans daigner se confronter au dialogue avec les journalistes spécialistes des questions relatives à l’audiovisuel qui ont écouté son exposé. Bref, « les journalistes n’ont rien à me dire », semble vouloir signifier ce comportement.

La patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte, au coeur des réformes annoncées, a quant à elle souhaité s’évaporer par une porte discrète. De tels comportements de la part des plus hauts responsables de l’audiovisuel public ont réduit, le temps de la longue matinée, les journalistes à un rôle de greffiers.

La démocratie sur pause, le temps de faire passer la réforme en force ?

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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