Confiance des Français dans les médias : quand le baromètre prédit la tempête

Le Baromètre La Croix/Kantar révèle que les Français sont de moins en moins confiants envers les médias d’information. En un an, la situation s’est dégradée. Les récentes agressions de journalistes par des manifestants se réclamant du mouvement « Gilets Jaunes » ont grossi la faille.

Défiance et véhémence

Le Baromètre La Croix/Kantar daté de janvier 2018 révélait que les Français attendaient avant tout une information fiable. « Le clivage éducatif et social s’est accentué dans la façon de s’informer et la perception de certains événements.Dans ce climat de confusion accentué par les réseaux sociaux, les Français plébiscitent une éducation aux médias, notamment pour démasquer les « fake news » », notait la journaliste Aude Carasco. (La Croix, 23/01/2018). Le même sondage en janvier 2019 signale un faille dans la relation entre les citoyens et les médias d’information professionnels, qu’ils considèrent comme « les médias institutionnels ».

Le sondage La Croix/Kantar indique que les Français ont moins de confiance dans les médias, et particulièrement dans les journalistes : les Français interrogés revendiquent, pour 67 % d’entre eux, un regain d’intérêt (48 % assez grand, 19 % très grand). Le sondage a été réalisé du 3 au 7 janvier, sur la base des quotas, auprès d’un échantillon représentatif de 1  000 personnes.

L’institut de sondage Kantar interprète ces résultats par une double fracture sociale : une fracture générationnelle, puisque les plus jeunes, à 49 %, avouent ne pas se sentir concernés, et une fracture socio-professionnelle, puisque 51 % des moins diplômés ne s’intéresseraient pas à l’actualité. Dans le détail, les Français plébiscitent la radio comme média le plus fiable (50 %), c’est quand même la télévision qui arrive en tête des moyens de s’informer (46 %), même si elle perd 10 points de confiance (59 % d’insatisfaits). 47 % des lecteurs de journaux se disent confiants dans l’information véhiculée par leur titre, mais c’est parmi les lecteurs les plus réguliers qu’on trouve le plus de réticences sur la crédibilité de cette information (59 %).

Force est de constater que les journalistes sont perçus par une certaine frange des français comme les membres solidaires d’une « élite » culturelle, voire financière, devant leur position sociale grâce à leur accointance avec le pouvoir politique. Parisiens, intellectuels, à la botte de magnats, il mentent et quand ils ne mentent pas, ils ne servent à rien tout en suçant les subventions publiques. Ce genre de propos caricaturaux et calomnieux, de nombreux journalistes en ont fait les frais sur le terrain quand ils sont venus couvrir les manifestations dans toute la France, sur internet, souvent cachés sous des pseudos anonymes. Les agressions physiques et morales à l’endroit des journalistes par des individus qui ont revêtu le gilet jaune de la visibilité se sont multipliées en décembre et en janvier. Samedi 12 janvier, lors de l’acte IX de la mobilisation des « gilets jaunes » A Rouen, une équipe de LCI composée de deux journalistes et deux agents de protection a été violemment prise à partie par plusieurs agresseurs présents dans la manifestation des « gilets jaunes ». Ce même samedi, une journaliste de la Dépêche du Midi a été agressée par des manifestants. Des menaces ont été proférées à son encontre.Samedi 26 janvier, «Enc*lé, tu travailles pour les juifs», a lancé à trois reprise un homme à un journaliste en marge du cortège parisien des « Gilets jaunes» qui remontait la rue Saint-Honoré.

Il faut aussi rendre justice aux dizaines de « Gilets Jaunes » que nous avons rencontrés depuis novembre et qui, sans aucune haine envers nous, nous renvoyaient, vivement il est vrai, à nos responsabilités, nous conjurant de faire remonter leurs doléances, lesquelles n’avaient rien de complaintes inconscientes et ridicules.

Deux tiers des sondés (69 %) critiquent leur collusion avec la politique et le pouvoir, et 62 % dénoncent des pressions d’argent, sans nécessairement avoir connaissance de la façon dont elles peuvent s’exprimer, un phénomène encore plus prononcé chez les plus jeunes. Sur les violences exercées sur les journalistes, 4 % d’entre eux seulement estiment qu’elles sont justifiées, 19 % qu’elles sont plutôt justifiées, et 39 % qu’elles ne sont pas vraiment justifiées, ce qui représente une grosse majorité. Seuls 32 % estiment que ces violences ne sont pas vraiment ou pas du tout justifiées.Sur le traitement du mouvement des gilets jaunes, 64 % avouent s’être informés via les journaux télévisés, et 37 % par les chaînes d’information en continu, voire via Facebook (26 %). Et 51 % des sondés estiment que ce mouvement n’est pas traité correctement par les médias, alors qu’ils reconnaissent à 79 % que les médias donnent la parole à des personnes que l’on n’a pas l’habitude de voir. Ils sont 67 % à estimer que les événements touchant les gilets jaunes sont dramatisés, et 52 % à protester contre les «opinions extrêmes» qui s’expriment. Peu de cohérence, beaucoup de véhémence. comment regagner la confiance ?

Au delà des Gilets Jaunes

Le problème va bien au delà du traitement médiatique des Gilets Jaunes. Tout d’abord parce que dans un pays centralisé comme la France, la haine du « parisien », « intellectuel » appartenant à l’élite est une antienne. Mais aussi parce que le lecteur est aujourd’hui un « consommateur de médias ». Il ne désire pas écouter mais se faire entendre. Pris dans le flux d’informations et perdu dans la diversification des registres de l’information, le lecteur nourrit le paresseux désir de trouver immédiatement des réponses à des interrogations qu’il n’a d’ailleurs même pas nettement formulées en son esprit.

A la faveur des nouvelles technologies d’algorithmes de prédiction, le lecture réduit la raison à une simple faculté de prévision. Si le journaliste ne prévoit ou ne prédit pas ce qu’il faut, s’il laisse passer une once d’incertitude, c’est qu’il est mauvais. Peu importe l’acuité de ses observations, la prudence de son jugement ou la finesse de son raisonnement. Il ne doit pas interroger les faits, il doit les maîtriser.

Une éducation aux médias à échelle européenne

Le sondage annuel La Croix/Kantar concerne la France mais les comportements des lecteurs de la presse sont semblables dans toute l’Union Européenne. Former les contours d’une éducation aux médias à échelle européenne paraît urgent. En cette année électorale européenne, elle devrait davantage préoccuper les politiques.

Les digital natives européens, ces enfants du millénaires nés avec internet, doivent savoir différencier n’importe quel contenu en ligne gratuit d’un contenu journalistique pour comprendre la valeur de l’information. Non, tout contenu en ligne ne relève pas du travail du journaliste, qui consiste à vérifier et recouper l’information, mais aussi, en choisissant l’angle d’une actualité, à s’engager et à choisir de rendre visible des personnes qui ne l’étaient pas. Les digital natives doivent aussi comprendre que l’information indépendante des industriels et des GAFA a un prix, et donc aussi un coût à assumer. Or, ce changement global et durable de comportement passe par une éducation aux médias et à l’information qui soit intégrée au cursus de formation initiale des jeunes européens. A cet égard, Divina Frau-Meigs, professeur des sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Nouvelle, recommande « une continuité pédagogique de la maternelle au supérieur (du cycle 1 au cycle 4, du lycée à l’université) » et « une continuité éducative dans et hors l’école ». « L’EMI présente le potentiel d’engager tous les acteurs autour de l’enfant (parents, associations, médias, municipalités…). Cette éducation aux médias prend son sens dans un projet d’éducation global des sciences, des technologies et des humanités, sans quoi elle verserait rapidement dans une moraline sur les bons et les mauvais usages. Il faut donc inscrire les MOOC dans une EdTech à l’européenne, dans un esprit de partage et de mutualisation, non de concurrence.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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