Intégrales dans la Corne de l’Afrique

 

Donner toute la mesure de la situation sociale et politique dans la Corne de l’Afrique relève de l’impossible, surtout si la diversité des quatre États qui la composent (Somalie, Djibouti, Éthiopie et Érythrée) ne fait pas l’objet de commentaires distincts. Toujours est-il que les occasions d’évoquer dans les médias ces nations souvent en crise de la péninsule de l’Afrique de l’est ont été rares en l’espace de trente ans, exceptions faites des reportages consacrés à la faim, la sécheresse ou au terrorisme. Et nous n’avons jamais eu la prétention d’échapper à cette règle, puisque les quelques propositions originales que nous avons tenté de soumettre aux différentes chaines avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler n’ont malheureusement pas été jugées assez « vendeuses », et ce à notre grand regret.

A Dadaab, le plus grand camp de réfugiés de la planète situé à l’est du Kenya non loin de la frontière somalienne, les exilés de la faim n’ont cessé d’affluer en cet été 2011, et c’est la boule au ventre que nous sommes allés à la rencontre de ces femmes, ces hommes et ces enfants qui ont pour la plupart été contraints de tout laisser derrière eux pour échapper à une mort certaine. Nos reportages pour la radio et la télévision réalisés au Kenya et en Somalie au cours de cette période, l’ont tous été dans des conditions très éprouvantes.

Guerissa – un autre Kenya . Regagner le camp de Dadaad depuis la capitale Nairobi peut sembler aisé dans la mesure où le parcours à vol d’oiseau n’est en réalité que de quelques centaines de kilomètres. C’est sans compter sur la route, ou plutôt l’absence de route, qui constitue en soi une expédition. Plus on l’on s’approche de l’est du pays, où le sable et la brousse ne cessent de gagner du terrain et de ronger le peu de végétation encore présente, plus on a le sentiment d’être proche du but, surtout une fois franchie la ville de Guerissa, majoritairement musulmane et tout à fait singulière par rapport au reste du pays, tant c’est bien l’impression d’avoir déjà atteint la Somalie qui semble dominer. Crevaisons, passages inopinés de guépards (« chita »), carcasses de bétail jonchées le long de la route, groupes de vautours attentifs à chacune de nos impulsions : le contraste est saisissant… Une fois arrivés au camp, un tout autre décor se présente à nous : des tentes à parte de vue alignées les unes derrière les autres, et un défilé de déplacés somaliens à bout de souffle, qui pour beaucoup ont parcouru plus de 1500 kilomètres pour échapper aussi bien aux violences des shebabs qu’à la sécheresse.

Est-il nécessaire de préciser que le danger est permanent, même à l’intérieur de ce camp géré par l’UNHCR ? Pour preuve, cette malheureuse péripétie qu’a subie une équipe de tournage allemande, qui n’avait sans doute pas respecté à la lettre les consignes fixées aux journalistes en matière d’horaires : passées 17 heures, le retour au camp est impératif pour tous, or nos confrères s’étaient obstinés à faire des heures supplémentaires, alors que le soleil était à son plus haut et que la situation sur le plan sécuritaire n’était plus tout à fait sure dans cette immense no-mans-land que ne peuvent à seuls contrôler les agents de l’ONU. En l’espace de 10 minutes, nos confrères de la télévision allemande se sont retrouvés nez à nez avec un groupuscule d’une quinzaine d’hommes, des mercenaires qui n’avaient pas hésité à se rendre jusqu’à l’intérieur du camp. Ils ont tous été passés à sac, et finalement relâchés, avant que leurs agresseurs ne se volatilisent en toute tranquilité dans la brousse. Le risque de kidnapping étant maximal, on peut considérer que ces confrères ne s’en sont pas si mal sortis dans leur malheur : ils ont tous été rapatriés le lendemain.

Des mésaventures que les réfugiés eux-mêmes nous ont dit avoir vécu au cours de leurs trajets de plusieurs jours depuis leur Somalie natale. Souvent démunis à leur départ, beaucoup ont décrit le trajet menant au camp comme un parcours du combattant : risque de viols pour les femmes, de représailles pour les autres, et bien sur le vol pour ceux que la vie n’a déjà pas épargnés. A cours de subsistances, à bout de souffle et sévèrement malnutris pour les plus jeunes, ils parachèvent un parcours du combattant de plusieurs centaines de kilomètres sur les rotules. Et entrevoient comme une sorte de victoire la possibilité qui leur est donnée de pouvoir enfin regagner les quelques 400.000 autres exilés du plus grand camp de réfugiés de la planète.

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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