Intégrales Productions, au Mali

 

MaliAvec Johann Prod’homm, nous avons atteint Bamako aux premiers jours de l’intervention française, quelques jours avant le bataillon médiatique qui s’en est suivi. L’objectif, reconnaissons-le, était le même pour la poignée de journalistes arrivée sur place : tenter de regagner au plus vite le Nord pour constater par nous-mêmes si d’éventuelles victimes collatérales étaient à déplorer, et surtout sonder le sentiment des habitants de Mopti, Konna, Gao et Tombouctou, terrorisés après des mois de « dictature djihadiste ».

Malheureusement pour nous, malgré nos diverses tentatives pour déjouer la vigilance des militaires maliens (qui avaient pour stricte consigne de refouler tous les journalistes vers Ségou, voire Bamako), nous n’avons pas été en mesure de dépasser le barrage militaire de Sévaré-Mopti. Impossible donc de comprendre ce qui se tramait là-bas et plus au nord : l’armée française, dès les premières heures, a clairement indiqué qu’elle entendait mener une guerre sans images, ou du moins sans autres images que celles fournies par ses soins.

Nous avons donc décidé de nous replier vers Djenné, à moins d’une heure de là, avec pour objectif d’entendre le récit des déplacés ayant fui le Nord. Aucun journaliste dans les parages à notre arrivée, les consignes officielles à ce moment précis de notre voyage étant de tous les éconduire de la zone rouge, et inviter le peu d‘étrangers encore présents à quitter la région sur le champ.

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Une tension ô combien palpable, avec aussi la peur d’infiltrations djihadistes que nous ont décrites les réfugiés eux-mêmes.

Voici par exemple un partie du témoignage de Babou Diarra, aide-soignant de 40 ans qui venait tout juste de quitter Tombouctou, les islamistes s’étant montrés de plus en plus menaçants à l’égard de sa famille. Serein à l’idée d’avoir quitté sa ville, mais pas vraiment rassuré d’apprendre que des éléments de Mujao soient parvenus à s’immiscer à l’intérieur même de Djenné : « Ça nous fait peur parce qu’on a appris que les djihadistes sont rentrés à Djenné. Même avant-hier, on vient de prendre 2 personnes ici, donc vraiment nous avons peur, on ne sait pas ce qu’on va faire maintenant.»

Babou souligne aussi la terreur du quotidien, dans cette cité millénaire abandonnée aux méthodes radicales des groupes terroristes :  « Même y a des gens là-bas, on leur coupe les bras, parce que quand tu circules dans la rue, que tu fumes et qu’on te prend, si on te prend, on te botte et tu reçois 100 coups de fouet, ou bien on te tue.»

C’est aussi ce que décrit Ibrahim Cissé, cordonnier dans le civil, obligé lui aussi de fuir Tombouctou dans l’urgence, craignant pour sa vie : « Je suis parti de Tombouctou parce que j’ai peur des fusils. Parce que j’ai peur, parce que tout le monde a même peur de sortir, parce qu’on ne sait pas qui est rebelle, et qui n’est pas rebelle. Et c’est à cause de ça que j’ai décidé de sortir avec ma famille pour venir à Djenné, parce que j’ai mon frère ici (…). Le Mali, c’est un pays laïc. Tout le monde est libre. Si tu veux devenir musulman, tu deviens musulman. Si tu veux être chrétien, tu peux être chrétien. Si tu veux être animiste, tu peux être animiste. Ça dépend de toi. »

Fuir les djihadistes, mais également les bombes et les combats, qui n’ont cessé de gagner en intensité à Diabali, première ville à être tombée aux mains de l’armée française.

Après avoir franchi le pont de Marakala tout juste sécurisé, nous avons eu l’opportunité de nous rendre à Niono, à moins de 30 minutes de là. Nouhoun Maïga a fui Diabali alors que les combats faisaient rage : « La nuit, on a eu des bombardements de l’armée française qui ont un peu fait peur à tout le monde. Ils ont détruit quelques-unes de leurs voitures mais jusqu’à présent, ils (les djihadites) sont là-bas quand même. Et ils y étaient encore au moment où nous on quittait Diabali. »

Les récits des violences au cours des combats au sol restaient, à ce moment du conflit, encore bien rares. A son arrivée à Niono, Alassanne s’est confié à nous : « J’ai fui Diabali tout seul et j’ai croisé 2 autres personnes sur ma route. A la sortie de Diabali, on a croisé des djihadistes qui avaient capturé plusieurs soldats maliens. Ils les ont frappés et on a entendu les soldats hurler. On a aussi croisé beaucoup de cadavres le long de la route. »

La suite du voyage, rocambolesque à souhait, a été ponctuée par des épisodes encore plus invraisemblables, bien que fréquents dans cette partie du globe : bakchichs à répétition, interrogatoires poussifs des autorités locales pour nous inciter à partir, menaces de représailles adressées à nos accompagnateurs, et quelques échanges musclés avec des hommes en treillis. Un rude exercice qui s’est poursuivi jusqu’à l’intérieur de l’aéroport de Bamako.

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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