Droit de vote des étrangers : RIP ?

Le droit de vote des étrangers aux élections locales, un sujet éminemment politique qui fait débat depuis plus de 30 ans mais finit systématiquement dans les cartons, faute de consensus.

– En 1981, François Mitterrand lui-même avait fait de l’élargissement du droit de vote aux élections locales l’une de ses 110 propositions électorales, avant de finalement jeter l’éponge.

– Six années plus tard, rebelote. Le Président Mitterrand se dit toujours favorable à la mesure mais se retient de la faire adopter, arguant que le pays (n’est) « pas prêt à son adoption ».

– Mai 2000 : l’Assemblée nationale adopte en première lecture la proposition de loi visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France, mais le texte ne sera finalement jamais examiné par le Sénat.

– Cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, parle de « facteur d’intégration » et se prononce en faveur du droit de vote aux étrangers aux élections municipales.

– Mais ce n’est qu’en décembre 2011 que le texte est adopté au Sénat par la majorité de gauche. Depuis, le processus est au ralenti. Et de nombreuses personnalités dénoncent les dérobades du gouvernement de gauche qu’elles accusent de ne pas se battre assez pour une révision de la Constitution qui permettrait à une telle disposition de voir le jour.

Entretien avec Esther Benbassa, Sénatrice EELV du Val de Marne et rapporteure de la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers à la Haute Assemblée.

L’entretien dans son intégralité à écouter ici :

 

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Esther Benbassa, Sénatrice EELV

Farouk Atig : Esther Benbassa, vous êtes sénatrice EELV du Val de Marne, rapporteure de la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers, à laquelle la Haute Assemblée a dit oui en décembre 2011. A l’époque, la droite était au pouvoir. Depuis, les socialistes ont pris la relève et on a le sentiment que plus rien ne bouge. Vous avez d’ailleurs vous-même ouvertement critiqué la « politique de la reculade » de ce gouvernement « sans audace ni courage ». Où en est-on aujourd’hui ?

Esther Benbassa, Sénatrice EELV, rapporteure de la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers : Depuis lundi, vous savez que le gouvernement a déclaré qu’il n’y aurait pas les 3/5 des parlementaires pour voter cette loi, donc pour le moment il n’y aura aucun changement constitutionnel. Or cette loi requérait une révision de la Constitution, cela ne se fera pas. En tous cas moi, jeudi à 15 heures, je poserai la question au gouvernement sur l’avenir de ce droit de vote parce qu’on ne peut pas continuer comme cela à ne pas remplir les promesses et ensuite de dire voilà il n’y a pas eu de consensus avec les parlementaires. Voyons, on est dans la politique. Si le gouvernement trouvait que cette question était très importante, peut-être que le gouvernement aurait du négocier en donnant des garanties aux parlementaires, bref, en essayant de négocier. Je ne suis pas sûre que l’on y arrive mais n’oublions pas qu’en 2001, Sarkozy lui-même était d’accord pour cette loi (In Libre, XO Editions / Robert Laffont 2001). Ce n’est pas une nouveauté, cette loi a été votée il y a plus de 10 ans à l’Assemblée. Il faut arrêter avec ça, on ne peut pas continuer à dire aux gens des choses et ne pas le faire. Parce que là, il me semble que -c’est vrai que ce n’est pas une loi très importante en soi qui va jouer sur l’économie, etc- mais n’oublions pas que le peuple de gauche aime beaucoup les symboles, et que c’était un vrai symbole pour le peuple de gauche qui attend beaucoup de ce droit de vote des étrangers.

F.A : C’est la proposition numéro 50 du candidat Hollande, est-ce que vous avez l’impression qu’il est en train de l’enterrer lui-même ?

Esther Benbassa : Je ne sais pas s’il est en train de l’enterrer, mais il est en train de tourner autour. Lundi, ça a été le verdict.

F.A : Vous parliez tout à l’heure de cette majorité des 3/5 au Congrès, en réalité en terme de chiffres, ça représente une trentaine de voies qui manquent à la gauche. Est-ce que les députés, les Sénateurs de gauche, et le gouvernement lui-même, ont vraiment fait leur travail pour essayer de faire des appels du pied, par exemple, au centre ?

Esther Benbassa : Écoutez, moi je suis pour la présomption d’innocence, je ne vais pas m’avancer pour dire qu’ils n’ont pas fait assez de promesses. Il me semble que ce n’est pas impossible, totalement impossible. Comme je vous l’ai dit, des politiciens de droite et du centre étaient pour cette loi il y a une dizaine d’années. Alors je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas les convaincre aujourd’hui. Le référendum, c’est vrai que cela risque de se retourner contre le gouvernement, vu le peu de popularité qu’a le gouvernement actuellement. Mais bon, de là à enterrer le projet, ça me désole. Et moi j’avais choisi cette question il y a 15 jours, parce que je me suis battue pour ce droit de vote des étrangers, et je me bats encore. J’ai écrit une pétition des 50 intellectuels et Parlementaires qui a quand même rassemblé plus de 3.000 signatures. Mais bon, vous savez, on se bat tous. Et là, j’avais préparé la question d’une manière un peu – disons pas agressive- parce que je pensais qu’il y avait des pourparlers, mais là, je ne vais pas mâcher mes mots parce que c’est vraiment inadmissible. Le gouvernement jusqu’à présent s’est tut, ils ne peuvent tout de même pas tout enterrer, dans des commissions, dans des réunions, etc. Il faut à un moment que le candidat Hollande applique et réalise ses promesses. Et le peuple de gauche attend ces promesses. On ne peut pas dire aux gens qui ont construit nos routes, qui ont gardé nos enfants, qui ont travaillé dans nos maisons, qui envoient leurs enfants à l’école avec nous, on ne peut pas leur faire des promesses et les laisser sur le trottoir. Voilà mon opinion.

F.A : Qu’est-ce qui dérange la gauche au fond ? Parce que c’est ce même gouvernement qui a permis l’adoption -assez massive quand même-du texte qui ouvre le mariage aux personnes du même sexe, et qui dans le même temps fait des espèces de rodomontades et n’arrive pas à faire le travail que sa gauche lui demande, c’est-à-dire d’essayer d’aller recueillir les voix qu’il faut pour faire passer ce texte ? Par exemple, Manuel Valls lui-même a dit à un député de l’opposition au début de ce mois : « On sait que vous ne cèderez pas. Ce sera enterré, on n’y touchera pas. »

Esther Benbassa : Oui, d’accord. Mais le mariage pour tous n’était pas une loi qui requérait la révision de la Constitution. Cela dit, la Constitution a été révisée dans le passé concernant le vote des étrangers communautaires, des étrangers européens. C’est vrai qu’il y a des difficultés aujourd’hui et Monsieur Hollande n’a pas été élu pour ce qu’il est, il a été élu contre Sarkozy. Donc, ça lui laisse une marge de manœuvre limitée pour ce genre de choses. Et je crois que le gouvernement s’est tu trop longtemps. Il y a des choses qu’il aurait dû faire en juillet, et là je crois qu’on a tardé, la situation se dégrade, et aujourd’hui le gouvernement est dans une situation de survie vue sa popularité qui baisse, et je crois qu’il n’y a pas eu trop d’efforts non plus. Et maintenant, c’est vrai qu’il n’y a pas les garanties pour que cette loi soit votée, donc on va l’enterrer. Mais avant les élections, Monsieur Hollande avait bien voulu qu’on passe cette loi au Sénat. Monsieur Jospin, à l’époque, ne l’avait pas envoyée lorsqu’elle avait été votée en 2000, parce qu’il pensait que la gauche étant minoritaire au Sénat, la loi ne passerait pas… Mais maintenant, j’ai été rapporteure, j’ai fait ça avec beaucoup d’émotions, j’étais novice. Je me suis battue, pour moi ça a été une sorte de victoire, j’étais contente qu’on ait fait aboutir cette loi à notre arrivée au Sénat. Ecoutez maintenant, la voir enterrée comme ça me désespère, et en même temps je me dis que tout cela va jouer contre la gauche hélas…

F.A : Le Danemark par exemple, le Luxembourg, les Pays-Bas, même la Suède -qui ne sont pas spécialement des pays où l’immigration est particulièrement importante et où il existe une criminalité liée à l’immigration- ces pays-là n’ont absolument pas eu de problème à reconnaitre le droit de vote aux étrangers qui résident sur leur territoire. Les étrangers qui sont en France depuis un certain nombre d’années, qui paient leurs impôts ici, est-ce que vous comprenez qu’ils soient en droit de se dire « nous sommes des sous-étrangers », par rapport aux étrangers communautaires que vous avez cités plus tôt ?

Esther Benbassa : Écoutez, c’est un peu simpliste, parce que ces pays-là n’ont pas la même constitution que nous, ils n’ont pas les mêmes lourdeurs que nous, la même inertie que nous. Donc, on peut comprendre que ces gens – les Danois, etc.- aient fait voter cette loi. Chez nous, il y a la Constitution à réviser et c’est d’une grande complication, vu les garde-fous qui font que la Constitution ne peut pas être changée si rapidement. Et tant mieux, parce que c’est aussi une garantie pour le pays, mais en même temps, ce n’est pas parce qu’ils paient des impôts. D’abord, il faut se dire que ce sont des citoyens-résidents. Ce sont des citoyens qui vivent avec nous, ce n’est pas ce qu’ils sont qui compte, c’est ce qu’ils font. Et on vit ensemble, c’est là l’injustice. Et puis si la France a des points communs avec l’Europe parce qu’il y a eu l’Union européenne, d’accord, mais n’oublions pas que nos amis étrangers qui sont là sont aussi issus pour la majorité d’entre eux, issus des colonies françaises. Et ont des points communs qu’ils partagent avec la France et les Français. Donc c’est une terrible injustice que de donner aux uns et de ne pas donner aux autres. Mais maintenant c’est peut-être plus difficile à faire vu le contexte politique, mais on va se battre, on va continuer, on va voir.

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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