Syrie : chronique d’un massacre ordinaire

par Odile Thurri

 

Deux ans après le début de la révolte populaire puis de la guerre, plus de 70.000 personnes ont été tuées en Syrie. Le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) tire la sonnette d’alarme : un million de réfugiés a déjà été enregistré dans les pays voisins, alors que seul un quart de l’aide humanitaire nécessaire n’a pu pour le moment être financé.

 

Un Libanais sur cinq est syrien

Toutes les télés du monde étaient présentes cette semaine dans le centre d’enregistrement du HCR à Tripoli, au Liban, pour interviewer Bushra, la millionième réfugiée syrienne enregistrée par l’ONU. Son enfant dans les bras, un eu effrayée par cet assaut de microphones et de caméras, la jeune femme raconte sa fuite vers le Liban et son quotidien : des conditions de vie plus que précaires, pas de travail et une pièce pour la loger avec 20 autres personnes. Un seul espoir : retrouver les siens perdus sur les chemins de la guerre, et pouvoir retourner un jour dans son pays, dans sa maison, sans doute en ruines aujourd’hui…

En un an, le Liban a vu croître sa population de 10 %. Les services d’eau et d’électricité ne parviennent plus à faire face aux demandes. Les camps installés par les ONG et le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) sont souvent bondés. Reste le logement auprès de l’habitant, mais cette solution est trop onéreuse pour les exilés qui ont tout perdu : le prix des locations flambe, nombreux sont ceux qui se lancent désormais dans le business du malheur. Liban, Turquie, Égypte, Jordanie, Irak… Un million de Syriens se sont déjà réfugiés dans les pays voisins. En Turquie, les camps ont atteint leur capacité maximale d’accueil, il y a déjà trois mois. Ne pouvant plus faire face à cet afflux massif, Ankara a verrouillé l’ensemble de ses postes-frontières, refoulant des centaines de familles vers les camps très précaires installés dans le nord-ouest de la Syrie.

400.000 réfugiés depuis janvier

Rien qu’au cours des deux derniers mois, plus de 400.000 personnes ont pris les chemins de l’exil, selon le HCR. La moitié sont des enfants, âgés pour la plupart de moins de onze ans. « Cela représente un déplacement massif et donne la preuve du degré de destruction et de souffrances auquel la Syrie fait face actuellement » souligne le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Insistant sur « la spirale infernale, celle d’une catastrophe absolue », dans laquelle est entrée le pays, Antonio Guterres rappelle également que « sans le soutien massif de la communauté internationale, il sera impossible de répondre à la situation humanitaire dramatique de la Syrie et de ses pays voisins ».

Appels à la communauté internationale

Ces réfugiés arrivent dans l’urgence, avec de maigres paquetages. Pour les ONG, tout est à fournir : nourriture, vêtements, eau, médicaments, matériel scolaire. Or, à ce jour, seuls 25 % de l’aide humanitaire nécessaire ont pu être financés. Dans le sillage du HCR , la Turquie et la Jordanie viennent de lancer un appel conjoint à la communauté internationale. Sera-t-il entendu ? Suite à la guerre de Bosnie, il y a 20 ans, les financements promis par les pays donateurs ont difficilement atteint 60 %. Même chose, plus récemment, pour l’Afghanistan…

Source : Sham S.N.N (télévision de l’opposition syrienne sur le web)

Les civils visés par des missiles balistiques

Restent plus de 21 millions de personnes, bloquées dans l’enfer de la guerre. Chaque jour, elles font face aux pénuries, aux combats entre loyalistes et insurgés, aux raids aériens et aux bombardements aveugles perpétrés par les troupes fidèles à Bachar Al-Assad. L’organisation Human Rights Watch (HRW) dénonce l’utilisation de plus en plus fréquente d’armes à sous-munitions, particulièrement meurtrières. HRW fait aussi état de l’utilisation depuis deux semaines de missiles balistiques pouvant souffler plusieurs immeubles d’habitation en quelques secondes. Leurs cibles : des zones à forte concentration de population où ne se trouvent pourtant aucune objectifs militaires. Une violation flagrante de la Convention de la Haye relative au droit de la guerre. Peter Bouckaert, directeur de la division « Urgences » de HRW précise (voir notre interview) : « Human Rights Watch a répertorié différents cas de tirs de missiles balistiques dans la ville d’Alep au cours de ces dernières semaines. Ce sont des armes particulièrement dévastatrices. Il s’agit de missiles longue portée, de onze mètres de long, qui comportent des ogives à très forte capacité explosive. Quatre tirs de ce type ont été effectués à Alep, ils ont fait plus de 140 morts. La moitié des victimes était des enfants. Il s’agit de tirs aveugles, l’armée syrienne ne visait aucun objectif militaire. Il s’agissait pour elle de cibler des objectifs civils afin de faire le plus grand nombre de victimes possibles ».

Sham S.N.N (télévision de l’opposition syrienne sur le web)

 Généralisation des cas de torture

Tout comme Amnesty International, HRW alerte également sur la généralisation des cas de tortures, hommes, femmes et même enfants, aussi bien du côté des sbires du régime, que de la rébellion. « Plusieurs dizaines de milliers de Syriens, au bas mot, sont détenus actuellement dans les geôles syriennes », précise Peter Bouckaert. « Nous continuons à répertorier de nombreux cas de personnes décédées des suites de ces tortures. Nous avons également établi de nombreux cas d’exécutions sommaires perpétrées par le régime syrien. C’est absolument atroce : être détenu dans une prison syrienne, cela signifie littéralement plonger en enfer. La torture est très largement répandue en Syrie. La ligne rouge est très souvent franchie dans les prisons du régime, de nombreux prisonniers sont exécutés après leur détention. »

Appels au retour lancé par le régime

Pendant ce temps, le régime se livre à de cyniques exercices de contre-propagande. Parmi les reportages diffusés par la télévision d’état et livrés aux agences ces derniers jours, celui du poste-frontière de Jdeïdeh, entre la Syrie et le Liban. Le portrait du président Bachar al-Assad y figure toujours en bonne place. Le chargé des douanes affirme avec un large sourire qu’il assiste à une multiplication des retours. Il répète à l’envie le communiqué livré par les autorités : l’armée loyaliste a regagné du terrain, désormais de nombreuses zones seraient « délivrées des terroristes, et donc à nouveau sûres pour les civils ». Le gouvernement appelle donc les exilés à rentrer au pays afin d’y reconstruire leurs habitations. Ces maisons qu’il a lui même détruites et pour lesquelles il offre désormais des indemnisations. Également face aux caméras de la télévision syrienne, un réfugié qui affirme avoir été mal traité au Liban, et une autre habitante qui clame son bonheur d’être de retour au pays.. S’ensuit un autre opus, des plus printaniers : la douceur de vivre sur les côtes syriennes. Les enfants mangent des glaces et leurs mères rendent des hommages enfiévrés au président Assad qui a su préserver « ces enclaves de paix »…

Alep, février 2013

Toujours pas de résolution à l’ONU

Deux ans après le début de la révolte puis de la guerre en Syrie, plus de 70.000 victimes ont déjà été répertoriés par les Nations Unies. Un bilan qui reste toutefois impossible à vérifier, à l’instar de ceux fournis par les enquêteurs, sur le terrain, de l’Observatoire Syrien des droits de l’homme, basé à Londres. Cependant, face à l’intensification des combats comme des raids et la multiplication des témoignages atroces des réfugiés, on se garde bien de les remettre en question. Mais à quoi bon brandir des chiffres effrayants, alors que presque rien n’avance sur le plan diplomatique et qu’aucune solution n’a été trouvée pour cet écrou stratégique que constitue la Syrie ?

La Chine continue d’opposer son véto à une résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies, tout comme la Russie, principal allié de Damas qui en profite pour signer de nouveaux et juteux contrats de vente d’armements. De son côté, l’UE a provisoirement allégé l’embargo sur les armes, à la suite de quoi Londres a décidé d’intensifier son soutien à la rébellion, réfléchissant même à fournir de l’armement aux insurgés dans un avenir proche. Un signe de la fin proche du régime de Bachar al-Assad ? Certains veulent y croire. D’autres s’inquiètent au contraire de l’enlisement du conflit et de son extension aux pays voisins comme le Liban, ou tout récemment, l’Irak. En attendant, entre 50 et 100 civils périssent chaque jour en Syrie sous les bombes du régime. Un conflit qui pourrait bientôt se muer en guerre civile si rien n’est fait, très vite, pour mettre fin au bain de sang.

A consulter également :

* Vague blanche pour la Syrie, le 15 mars 2013 (LDH)

* Rapport sur les tortures en Syrie (Amnesty International)

* La page de Sham S.N.N (télévision de l’opposition syrienne sur le web)

* Permis de tuer en Syrie par Sofia Amara (Théma ARTE)

* Syrie, impasses et développements (tribune Jean-Sylvestre Mongrenier)

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Emery de la Batue

Emery de la Batue

Emery de la Batue, community manager pour divers médias, partage ses activités entre Paris et Washington DC. Il et de chargé de la veille médias et de la rédaction de news à Intégrales Productions.

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