Les fausses confessions de Jérôme Cahuzac

 
ou de l’habile maniement du storytelling
 

Le 15 avril au soir, BFM TV réalisait une part d’audience de 5,1% entre 18 heures et 18h30, soit plus de deux fois le score habituel sur cette tranche horaire. Fin d’après midi, pénombre entrante. On apprenait à cet instant que Cahuzac était sur le point de parler. Pâle plateau. Pénible éclairage, que seul réhaussait la chemise blanche du ministre déchu, suaire entrouvert sur un corps raide, tel la promesse d’une confession sincère. Mais Cahuzac, qui manie habilement l’art du storytelling, s’est-il véritablement confessé devant les téléspectateurs  ? Retour sur un coup de com’ qui n’a pas fini de faire gloser les médias.

L’apparent récit d’une confession

Interrogé par le rédacteur en chef de RMC, Jean-François Achilli, Jérôme Cahuzac a déployé une demi-heure durant un véritable récit personnel. Le storytelling, habile moyen de déplacer l’interview de l’exactitude constative vers l’authenticité expressive. Car, si Cahuzac a accepté de répondre aux questions d’un journaliste dans une période de trouble, ce n’est pas pour tenter de dégager un sens de ses actions passées, et encore moins d’en tirer une morale. Cahuzac est venu dans le seul but d’émouvoir un téléspectateur dont les sentiments à son égard se sont tant aigris ces semaines passées. Et, pour émouvoir, il faut se prêter tout entier à la confidence intime. Vider son sac. Raconter son histoire telle on cautérise une plaie. Exploiter à fond l’enjeu thérapeutique de la narration est une manière certaine d’assoupir le jugement du téléspectateur.

« Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme, ce sera moi », annonce Rousseau dans l’incipit de ses Confessions. C’est presque ainsi que Cahuzac s’est présenté aux téléspectateurs, sur le ton de l’épanchement. Il multiplie les « je ». Ses prises de parole sont jalonnées de confidences psychologiques qui ne manquent pas de solliciter la pitié de l’audimat, comme celle-ci : « J’ai commencé à me reconstruire, c’est nécessaire et peut être plus important encore, à mériter l’affection et l’amour de mes amis et de ceux qui ont encore pour moi ce sentiment-là ».

Surtout, le récit de Cahuzac suit la structure d’une confession. On en reconnaît en effet les quatre moments, à savoir le remords, le repentir, la rémission et la rédemption. Tout d’abord, Cahuzac reconnaît sa faute, et en exprime le regret :  « Le responsable, c’est moi et c’est à moi que j’en veux ». Puis, il se repent :  « Aujourd’hui en conscience, j’estime que la gravité de cette faute ne me permet pas de rester parlementaire et j’ai donc décidé de démissionner de ce mandat ». Troisième mouvement de la confession : la rémission du péché. L’ancien ministre du budget indique qu’il a demandé pardon aux membres du gouvernement. Enfin, Cahuzac achève de se confesser en envisageant une rédemption : « J’ignore de quelle façon aujourd’hui je peux tenter de compenser le mal que j’ai pu faire ».

Jérôme Cahuzac avait tout intérêt à camper son intervention dans le registre de la confession. Le choix de cette narration a permis à l’ancien secrétaire d’état de se livrer en tant qu’homme, laissant de côté son douloureux rôle politique, et même son statut de citoyen. Pour Jérôme Cahuzac, la faute commise est… « morale ». Il l’a déjà dit à deux reprises. « Et fiscale ? Et pénale ? », a fait remarquer à juste titre Fabrice Arfi dans un tweet, publié pendant l’interview. Silence. Vous ne pénétrerez pas le côté obscur.

Le côté obscur de la force
A cet égard, ce qui diffère fondamentalement entre Cahuzac et tout autre homme politique en quête d’un grand pardon populaire, c’est son absence de remise en cause. En bloc et en détail, Cahuzac s’affirme identique à lui-même. Différent donc, du récit d’un Dominique Strauss-Kahn, qui, conseillé pourtant par la même Anne Hommel, cette ex Euro RSGC « chargée de com des causes perdues » (L’Express, 16/04/2013), remettait publiquement sa personne toute entière en question suite à sa liaison impropre avec Nafissatou Diallo.

Une réelle confession est un exercice qui vise à faire lumière sur son passé, c’est-à-dire, à proprement parler, à le présenter. Or, Cahuzac, dans son récit, va au contraire défendre une irréductible et indicible « part d’ombre ». En commençant par éluder les mobiles qui seraient à l’origine de l’action qui lui est reprochée. « Ne me demandez pas pourquoi on commet une folle bêtise par définition, folie et bêtise sont difficilement explicables (…) En vérité cette part d’ombre on ne la repousse pas, on le la réduit pas (…) », a-t-il expliqué au journaliste qui s’était aventuré dans la question du « pourquoi ».

Avec « la part d’ombre », le mensonge devient mystère, conférant au menteur une épaisseur psychique singulière. C’est le côté obscur de la force. Cette expression est métaphorique. C’est à ce moment-là de l’entretien que Cahuzac ancre complètement son intervention dans le temps du récit. Le journaliste, qui a pour point de référence la réalité des actualités, est soudainement dépossédé du temps, si bien que ses questions n’ont plus prise sur Cahuzac. L’interview se néantise dans le mauve éteint des murs : nul n’est parvenu à percer l’origine de « la force ».

Clara Schmelck

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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