Violences urbaines : quand la déontologie passe à la Trappes

 

Suite aux tensions qui se sont nouées à Trappes ce week-end entre un agglomérat d’habitants et les forces de l’ordre, les médias ont largement relayé le fantasme de la ville embrasée. Lorsque s’enflamment clichés et amalgames, c’est la déontologie du journalisme qui passe à la trappe. 

 


2013 ou 2005, un identique récit d’émeutes urbaines

Le fait le plus révélateur sur la façon dont les médias ont traité « les événements de Trappes » est cette erreur du site TF1 News, qui n’a pas hésité à faire porter la légende « nuit du 19 au 20 juillet 2013 » à une image datant des émeutes de 2005. Un fond tout de flammes. L’agitation d’ombres chinoises. Ce même pantomime. Change le toponyme de banlieue.

Ce cliché diffusé sur TF1 News se rapporte en réalité aux émeutes de 2005
Ce cliché diffusé sur TF1 News se rapporte en réalité aux émeutes de 2005… et non à Trappes en 2013.

Lorsque la presse et la télévision relatent un fait de violence perpétré en banlieue et impliquant une agglomération d’individus, le procédé narratif est toujours le même, à savoir la description dramatisée d’une poussée de violence. Un embrasement. Des flammes. Des enfants et des femmes en larmes. A la description succède la sonde sans tain qui parcourt les rues harassées des souvenirs de la veille. Les journaux et les chaînes de télévision veulent« comprendre ». Traduisez par « savoir qui c’est ». Il est étonnant de voir les médias s’adonner chaque fois à une sorte de procès de fortune, dans lequel agents et témoins de l’événement sont transformés en protagonistes, c’est à dire, au sens étymologique, en individus jouant le rôle principal d’une lutte. C’est faire d’eux systématiquement des belligérants : La police. Un bloc. Comme si tous les policiers s’étaient conduits de façon identique. Les fauteurs de trouble. Ils s’opposent par principe à l’uniforme. A parier qu’à Trappes, ils préfèrent la Burqa au képi. Les « pauvres gens », témoins malheureux de la scène, ces anonymes désolés, les laisser-pour compte de la société. Par cette mise en scène, les médias rabaissent tout le monde : une police incapable de comprendre la vie quotidienne de citoyens isolés oscillants entre la tentation de la violence et le désespoir. Une marge du monde où macèrent bêtes et brutes prêtes à montrer les crocs au moindre accroc. Ne peut-on pas voir dans ce procédé de médiatisation un défaut de déontologie, dans la mesure où le traitement de l’événement s’accompagne d’une dévalorisation des individus qui en furent les témoins directs, actifs ou passifs ?

Cette façon de couvrir l’incartade paraît d’autant plus irresponsable qu’elle a des répercussions néfastes immédiates sur les médias sociaux, lesquels agissent tels des caissons de résonance. Les jours suivants, alors que les sites internet des grands titres nationaux continuaient de parler d’embrasement, des tweets emboitaient le pas : ainsi, le 21 juillet, un montage photo circulait sur Twitter, portant l’assertion que l’émeute de Trappes s’était répandue comme une trainée de poudre sur les villes yvelinoises environnantes.

Envoyez l’armée et qu’elle y reste !

Le plus grave, dans cet art de présenter des situations pathétiques, est qu’il ne peut logiquement trouver son embouchure que dans le ru étriqué des discours « catastrophistes ». A chaque fois qu’un différend se produit en banlieue, toute la presse arrive sur place avec sa marotte : « Où va la République ? ». On peut se demander si les intérêts de la nation sont effectivement ébranlés à chaque fois qu’il y a une commotion quelque part. Le propre d’une démocratie n’est-il pas de supporter les discordes et d’encaisser les chocs, là où la dictature fait taire la dispute avant qu’elle n’éclate ? Il ne s’agit pas de passer le clash sous la trappe, ni d’en amenuiser l’impact. Cependant, en souhaitant ouvertement que cet incident n’ait pas eu lieu, (comme s’il avait été question d’une catastrophe naturelle), les médias ont, à leur insu, refusé la réalité d’une des dimensions de la démocratie, certes pénible : le désaccord entre citoyens, en tant que susceptibles de troubler l’ordre civil. La presse a-t-elle si peu confiance en la démocratie ? Doute-t-elle de sa capacité à assurer le maintien de l’ordre ? On pourrait conclure de tous les récents articles sur Trappes que le pouvoir absolu, malgré les risques d’excès, serait préférable à la démocratie, et ce par la faute des hommes, incapables de se gouverner eux-mêmes. En clair, qu’on envoie l’armée, et qu’elle y reste ! Autre voie vers laquelle nous poussent, toujours sans le vouloir, les informations : l’anarchisme. Les habitants des banlieues se sentent oppressés par l’Etat, nous répète-t-on en boucle. Donc, l’Etat est une abstraction destructrice, car elle prône une universalité dévorante. Quant au pouvoir public, qui en est l’émanation, il est un leurre.

Il semble que les deux conclusions qui sous-tendent presque tous les propos médiatiques sentent encore plus mauvais pour la République que le caoutchouc d’un pneu consumé par les feux d’une nuit d’été.

L’intégration, une fausse question

Reconnaissons que certains grands quotidiens, instruits des émeutes qui ont secoué la banlieue parisienne en 2005, se sont montrés résolus à ne pas traiter les incidents de Trappes sous l’angle étroit des clichés. Après avoir relaté les événements dans le feu de l’action, ils ont laissé la réflexion prendre possession de la place dépeuplée d’autos calcinées. Mais cela pour ramener l’événement à la question de l’intégration des personnes de confession musulmane ou des habitants de cités, soit à la question de l’intégration d’une portion des citoyens français. Une démarche qui constitue un contre-sens sur ce que signifie le modèle assimilationniste choisi par la France depuis 1789 : il n’y pas de citoyens qui auraient à s’intégrer, quand d’autres pourraient faire l’économie de cet effort. Car l’intégration correspond à un mouvement de tous qui consiste à s’extirper, à chaque fois où l’occasion se présente, de ses préférences et de ses préoccupations particulières pour orienter ses actions dans la perspective de l’intérêt général. Concrètement, s’intégrer revient à s’adapter aux situations sans mettre de l’huile sur le feu. Une règle de vie commune qui vaut aussi pour la presse et la télévision, si tant est qu’elle soit moins tentée par les sueurs froides que par la froide déontologie.

Clara Schmelck est philosophe, rédactrice en chef adjointe d’Intégrales Productions.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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