En Algérie, c'est la dernière ligne droite avant les élections du 17 avril 2014. Depuis mars, la campagne aura migré de la réalité de la rue à l'écran immatériel de la télévision, pour déboucher in fine sur le champ virtuel de l'internet, avec de moins en moins d'ancrages concrets. Itinéraire symptomatique d'un scrutin désincarné ?
De l’échancrure des ruelles à l’écran de télévision…
Début mars, avant même que le Conseil Constitutionnel n’ait déterminé les noms des candidats officiels, l’élection présidentielle s’était immiscée dans les échancrures des ruelles de la Casbah algéroise. Durant les deux semaines qui précédaient le début officiel de la campagne, des opposants au quatrième mandat de Bouteflika ont fait savoir leur colère dans les rues de la capitale.

La chaîne de télévision privée » El Atlas » s’est alors fait le principal écho en temps réel des manifestants. Ce fut une des rares chaînes algériennes dont l’amplitude de diffusion dépasse la Méditerranée à donner la parole à l’opposition.
Le 11 mars, la gendarmerie confisquait le matériel de la chaîne de télévision, et perquisitionnait ses locaux, situés dans le quartier de Bab Ali. La chaîne a été officiellement interdite d’émission, cela « jusqu’à nouvel ordre ». El Atlas était une des rares chaînes à se montrer critique envers le pouvoir, depuis l’ouverture du champ audiovisuel algérien au secteur privé, en 2011.
Les citoyens allaient enfin pouvoir consacrer leur temps de télévision à la chaîne entièrement dévouée à canaliser la propagande du candidat Bouteflika : diffusée sur satellites depuis le 6 mars, premier jour de la campagne électorale des présidentielles d’avril, Wiam TV, une chaîne de télévision dédiée à la promotion de la candidature du président Bouteflika à sa propre succession.
24 millions de dollars environ auront été déboursés par l’Etat et les quelques hommes d’affaires mécènes pour diffuser la « Concorde nationale ».
Le nom donné à la chaîne télévisée n’est en effet pas neutre : le mot de « Wiam », « Concorde nationale » est une référence explicite à l’histoire récente de l’Algérie : il rappelle à la Nation qu’en 1999, Abdelaziz Bouteflika avait eu le courage de faire adopter, par référendum populaire, la « Loi de réconciliation nationale ». Le « papi gâteux » que moque la rue d’Alger est avant tout l’artisan d’une dynamique de paix civile en Algérie — paix qui se trouverait fragilisée s’il ne se présentait pas à nouveau à la magistrature suprême.
La paix civile : un argument d’autorité qui pèse, à en étouffer la jeunesse de tout son poids. Trois ans après le vent révolutionnaire qui a soufflé sur sur le monde arabe, l’Algérie est tentée de secouer cinquante années d’immobilisme.
Depuis plusieurs semaines, la jeunesse, qui compte près de 50% de la population d’un pays de 38 millions d’habitants,appelle les Algériens à descendre dans la rue pour dénoncer ce qu’ils estiment relever d’une « farce électorale ».
Un jeune, interrogé à l’issue d’un meeting de campagne de Bouteflika par notre reporter d’Intégrales Productions, en veut pour preuve l’incapacité de l’intéressé à faire acte de présence à ses propres meetings. (Emission « Le Petit Journal », Canal+, 03/04/14)
Ce soir, samedi 5 avril, Arte diffuse » Algérie, une jeunesse sans printemps », un reportage réalisé par Intégrales Productions présente une jeunesse plurielle : Salafistes, intellectuels, « tchitchis » – bobos algériens -, prête cependant à dénoncer un scrutin qu’elle estime d’un autre âge.
A voir : http://info.arte.tv/fr/algerie-une-jeunesse-sans-printemps#sthash.lUAPynaS.dpuf

…la campagne vire sur internet
L’ultime déplacement de la campagne sur le net est peut-être la seul signe que le scrutin se déroule bien au vingt-et-unième siècle.
Mis en ligne le 30 mars, un clip de soutien au président Bouteflika a provoqué une telle polémique qu’il aura réuni sur la toile toutes les voix anti et pro Bouteflika, faisant résolument basculer l’intérêt de la campagne de la télévision à l’internet.
Le titre de ce clip « Mon serment pour l’Algérie » reprend texto le slogan de campagne de Bouteflika. «Laissez-moi être heureux, laissez-moi être fier de mon président qui a prêté serment à l’Algérie et qui a tenu la promesse de millions de martyrs», entonnent à la cantonade des artistes aussi renommés que Khaled, ou Smain.
Le web aura réussi à formuler franchement la question essentielle de la campagne, à travers une parodie du célèbre «Papaoutai» de Stromae : «Outai Boutefoutai» qui fait le buzz sur YouTube depuis le 2 avril : “Où est tu Boutef ? Dis-nous où es tu caché ? Sans pouvoir reparler, tu veux encore être le chef. Ah sacré Boutef, Dis-moi où es-tu caché ? ».
Le pastiche, à fort potentiel viral, a donné une certaine visibilité aux opposants à la présidence de Bouteflika dans la presse internationale et sur Twitter. A quinze jours du scrutin, le hashtag #DZ2014 agglomère un nombre croissant de tweets, venus de France, de Tunisie et du Maroc, notamment.
Mais, vue d’Algérie, cette campagne qui se dématérialise de la rue à l’espace virtuel paraît symptomatique d’un candidat désincarné, et de ce fait incapable de porter les espoirs du corps civil.


Derniers articles parClara Schmelck (voir tous)
- « C quoi l’info ? » : le JT pour tous les jeunes - 14 septembre 2023
- « Je sais que je ne suis pas » : entretien avec ChatGPT4 - 9 septembre 2023
- L’Espagne championne du monde contre le sexisme - 25 août 2023
- Le jour où Twitter s’est envolé - 25 juillet 2023
- « Parcours de combattants », une émission qui faisait du bien - 7 juillet 2023