– VUES DE NEW YORK –
En 2000, alors que le break dance pénètre impertinemment les salons académiques new-yorkais, la photographe américaine Dans Shitagi, dans un mouvement inverse, décide de présenter le travail de danseuses classiques dans des trains, des gares, sur des rampes saturées de graffiti. Depuis quatorze ans, la photographe demande à des ballerines de l’ American Theater Ballet, du Boston Ballet, ou de l’école de l’American Ballet, de poser pour elle. Une dramaturgie discrète de corps féminins.
Un paywall sur la galerie en ligne
Pour se perpétuer au delà du stade confidentiel, le Ballerina Project http://ballerinaproject.com a su chausser les réseaux sociaux. Avec un réseau Facebook de près de 850 000 intéressés, et un développement sur Pinterest, Twitter et Instagram, Shitagi peut poursuivre une expérimentation culturelle qui s’appuie à un modèle économique viable : en quatre ans, les engagements sur les réseaux sociaux se sont traduit par un accroissement des achats de tirages photographiques.
De plus, Ballerina Project a installé un paywall sur ses galeries de photographies en ligne (l’abonnement annuel s’élève à 9,95$). Le projet a séduit le Wall Street Journal, The Huffington Post, NBC Today Show, Esquire et de nombreux blogs consacrés à l’art de vivre et à la danse.
Différence et répétition
« On ne creuse pas des espaces, on ne précipite ou ne ralentit des temps qu’au prix de torsion et de déplacements qui mobilisent, compromettent tout le corps », écrit Gilles Deleuze dans Différence et répétition.
Dans Shigati photographie des corps parvenus par surprise dans un univers hostile à tout élément courbe.
La ville a ses vérités droites et anguleuses, qu’elle impose de ses hauteurs inlassables. Devant les arbres qui n’osent pas entrer en confusion avec les arrêtes des tours, la danseuse arrive, ou revient, sait-on, miracle soudain d’une ville qui la déteste.
L’équilibre que dégage ces images traduit une prudence de la part des danseuses. Jamais, leur corps ne revendique aucune brutalité par rapport à ce paysage urbain qui pourtant les rejette jusqu’à l’extrémité du champ de vision du spectateur, au premier plan.
Elles ne cherchent pas à susciter la gêne, à arracher un parti pris. Le geste de leurs jambes expriment un désir de nouer une tension salutaire avec l’univers de la ville. Leur visage nous font partager l’éclat de cette intimité pudique, de ce confident dévoilement. Et on les aime, pour reconnaître dans leurs pas suspendus le virtuose timide d’une virtualité dont elles portent les premières actualisations.
Une idée se dramatise à plusieurs niveaux, et des dramatisations d’ordres différents se font écho et traversent les niveaux. C’est sans doute ce qu’a voulu faire passer Dans Shitagi à travers un projet qui comprend des centaines de prises de vue.
Même à travers l’écran d’une machine, les pas insondables des danseuses disparaissent en nous transperçant jusqu’au vertige.
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