Affaire Closer/Philippot : le degré zéro du politique

Le 12 décembre, le tabloïd Closer a répandu des allégations au sujet de la vie privée du vice président du FN, Florient Philippot. Le plus choquant, ce n’est pas que les médias relayent et raillent la rumeur, mais c’est l’angle choisi unanimement par la presse et la télévision pour commenter ce tumulte qui concerne un haut cadre du Front National : de la psychologie, rien que de la psychologie. Surtout, pas de politique.

Florient Philippot est un homme politique, et c’est bien là dessus que Closer comptait pour choquer. De surcroit, l’homme défend, étendard tendu sur toutes les chaînes de télévision, des thèses d’extrême-droite teintées de traditionalisme. Le discours public de ce haut cadre du FN parait entrer en contraction avec les allégations étalées dans les pages du tabloïd. Pour Closer, l’effet est doublement assuré.

De nombreuses personnalités politiques, de gauche notamment, ont déploré le procédé de l’ « outing », pratiqué par la publication people. Mais, comme si pour dénoncer ce mode de rumeur, il fallait absolument écarter l’identité et l’activité politiques de Philippot, toutes l’ont subitement soulagé de ses  convictions politiques.

Au passage, la pratique de l' »outing » n’est pas analysée sur un plan politique, mais commentée au cas par cas, à chaque fois qu’une personne est dans le collimateur de la presse people.

4332727_9c1b3fc8fa4436ec2b959a844a67bae48070f316_545x460_autocrop

Sur Twitter, le député PS Nicolas Bays écrit ainsi : «Même si j’exècre ses idées, le droit à la vie privée est sacré.» Voilà philippot dévêtu non pas de sa vie personnelle, mais de son accoutrement idéologique. Un simple vêtement, vraiment ? Voilà l’image de ce cadre du FN assainie. Mr Philippot est un homme comme les autres, qui souffre aussi des vilenies qu’on lui attente.

La presse également élude toute référence à la politique et au politique, se privant par là même d’une réflexion sur le sens politique que peut avoir l’affaire Closer/Philippot. Doit-on y lire l’influence du gonzo-journalisme, ce journalisme ultra-subjectif, sur les médias traditionnels ?

Délibérément, les journaux prennent le pas sur les réseaux sociaux en mettant de côté l’appartenance politique de Philippot pour s’accroupir au chevet de l’homme blessé, et s’offusquer qu’il eut pu être ainsi bafoué.

Réflexion politique

Entrer, comme Closer invite à le faire, dans les sentiments d’une personne politique, n’est-ce pas à son tour franchir la ligne rouge qui démarque l’extime de l’intime ? C’est peut-être même en ceci que le tabloïd est exécrable, au delà des propos outranciers qu’il divulgue.

A leur tour, les médias se représentent psychologiquement Philippot comme une notoriété violée dans son intimité, au lieu de penser qu’un tabloïd vient de traiter  un homme politique comme une vedette que l’on déshabillerait, et que ce fait même est de nature à nourrir une réflexion politique.

La société est-elle entrain de dépolitiser la personne de l’ homme politique, qui ne serait plus qu’un individu psychologique ? Si Monsieur Philippot est la personne dont Closer s’est mêlé de la vie privée avant que d’être le vice président du FN, les thèses du FN sont-elles des abstractions qui flottent en l’air ?

Le danger est réel : à qui appartiennent les idées, et en l’occurrence, les thèses d’extrême droite, si les hommes politiques invités sur les plateaux n’ont plus à les assumer personnellement complètement ? Comment convoquer quelqu’un pour discuter de ses idées, si la société accepte de dissocier quasi-entièrement la personne psychologique du discours politique qu’elle tient ?  A long terme, cette pratique est inquiétante pour l’avenir du débat politique.

Interrogée par Le Parisien sur la licéité morale de pratiquer l' »outing » de personnes politiques, Laurence Pieau, directrice de la rédaction de Closer, avance : « nous n’avons pas enfreint de tabou ». Pas celui du politique, en tous cas.

 

The following two tabs change content below.
Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

Vous pouvez également lire