Paris Les Halles : l’envers du décor

ENQUÊTE

 

 « Pendant les travaux, le shopping continue ». Tout autour de l’immense chantier des Halles, l’affiche relance le leitmotiv du temple de la consommation aux retardataires des courses de Noël. 21 décembre. A en croire les riverains et les commerçants,  le « coeur où Paris palpite » a pourtant des allures de ventre vide.

Les Halles. Des cliquetis qui s’égarent dans le froid, des martèlement hagards pour unique causerie.   « A cause du bruit, les personnes âgées nous fuient! » tempête Ahmed, un serveur du Père Tranquille, une brasserie traditionnelle rue Rambuteau. Même attitude chez les plus jeunes : « Les bandes d’ados ne déboulent plus de leur banlieue pour venir se faire tatouer les bras aux Halles », tonne Jim, bodygraphist installé depuis 25 ans dans la même rue. Avec les travaux, s’évapore toute une clientèle que les commerçants avaient mis plusieurs décennies à fidéliser.

« On a le sentiment d’une promesse non tenue », déplore une vendeuse rue Montmartre, une rue adjacente au chantier. Sa boutique jouxte les échafaudages du futur grand nouveau quartier. « Les pouvoirs publics auraient du anticiper la baisse de fréquentation, et permettre aux commerçants de faire des nocturnes événementielles pour compenser le manque à gagner », avance t-elle. « Au lieu de cela, c’est la politique de l’autruche et le quartier est devenu moribond depuis 2012 », regrette sa collègue.

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Le ventre vide de Paris

En fait, les Halles vivotent. Les parisiens et les touristes s’y promènent autant qu’avant le début du chantier, mais sont plus réticents à s’attarder en achats.

« Les Halles, là où Paris palpite », insiste une bannière le long de l’Escalator qui mène au fameux Forum, un centre commercial revendiquant une moyenne de 150 000 clients par jour. Nous descendons dans les entrailles des Halles. Voyage vers le ventre éreinté de la capitale. Ereinté par le staccato infernal des métaux en marche. Au dedans, du vide. Un sol sale et désolé. Un dédale de fils qui pendent. Des corridors se répondent. Où mènent-ils ? Avec les travaux, les gens se perdent.

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Un ouvrier du chantier nous conduit derrière les zones accessibles au public. Photo : Intégrales Mag

Au bureau d’information, on refuse de croire que le Forum hiberne. « Les plafonds seront finis en janvier 2015 », assure sèchement un responsable de la société privée « Forum des Halles ». « Les travaux ont pris du retard », nous confie Mikhai, un maçon employé sur le chantier, qui en veut pour preuve les lourdes encablures abandonnées par terre, derrière la zone autorisée au public.

A deux de ce pandémonium, l’échoppe bien léchée de Comptoir des Cotonniers, une boutique de vêtements qui vise une clientèle parisienne CSP+. « En six mois, les ventes ont chuté de quasiment cinquante pour cent », soupire la responsable du magasin. « Et ce n’est pas l’orchidée sur le comptoir de la caisse qui va attirer les clientes », regrette Stella, la vendeuse. Avec ses surfaces désertes et ses sorties condamnées, le centre commercial est un cauchemar en plein jour. Et les commerçants ne voient pas poindre le bout du tunnel.

Mais, le Forum n’est qu’un purgatoire comparé à l’enfer de la gare. Plongée dans la strate la plus souterraine des Halles. Passage du portillon. Une trainée d’urine oblitère les narines. Partout, des gens tournent, telles des centaines d’abeilles effarées. Du passé récent de Châtelet-les-Halles, premier pôle ferroviaire de Paris avec ses 50 millions de voyageurs en transit chaque année, il ne reste que de maigres indices. Monoprix a fermé. Disparus, les épiciers à la sauvette. Dispersées, les grappes de jeunes venus partager quelques instants agités à la croisée des mornes lignes RER. « Il y a moins de passage, moins de trafic, dans tous les sens du terme », reconnaît-on au commissariat.

Péniblement, nous remontons à la surface. Porte Saint-Eustache, une vieille dame observe, perplexe, les grues pavoiser. « J’ai connu les Halles, les vraies ! » jette t-elle à l’ossature d’acier de la future canopée. Paris n’en finit pas de regretter son ventre.

 

 

 

 

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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