Laïcité : le grand malentendu

– DECODAGE  –

Comme une bouche ou comme une blessure, la laïcité s’est rouverte dans le ciel du 11 janvier. Ce principe républicain, qui dessine depuis 1905 les conditions juridiques d’un Etat séparé de l’Eglise, est fissuré de contresens depuis que le débat public de l’Après-Charlie s’en est tantôt emparé, tantôt paré.

Depuis la marche républicaine du 11 Janvier, le mot de laïcité, soudain performatif sous la plume de ceux qui le dénigrent ou l’instrumentalisent, passe pour l’ordre d’expurger le débat et l’instruction publics de toute référence religieuse. Comme si la laïcité se réduisait à une sorte d’idéologie qui voudrait interdire politiques, médias et professeurs de parler de la religion dans sa dimension métaphysique, pour ne parler du fait religieux que sous un angle historique ou sociétal (rites, interdits…).

Un principe stigmatisé

Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, et régulièrement appelé à trancher dans ce domaine, rappelle pourtant : « La laïcité, c’est l’exigence de neutralité religieuse des services publics, mais cela n’a jamais été un athéisme d’Etat. » Opposer laïcité à liberté de conscience et de croyance est un complet contresens. De même que stigmatiser la neutralité laïque comme source d’exclusion du spirituel.

L’idée est d’affranchir l’ensemble de la sphère publique, à savoir les politiques, les médias, les professeurs chargés de l’instruction publique, de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulières, pour assumer pleinement la liberté de conscience et le respect des croyances.

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Le principe laïcité vise à unir les hommes par ce qui leur est commun en droit, par ce qui leur permet de discuter ensemble, au delà de quelque déterminisme social.

C’est dire que l’Etat ni n’impose ni ne contraint. Il n’y a ni credo obligé ni credo interdit.

Et pourtant, certains osent, sous les couleurs de la laïcité, manifester un rejet visant particulièrement les citoyens de confession musulmane et de confession juive. Lorsque Marine Le Pen, souhaite, au nom de la laïcité, interdire « le voile et la kippa dans la rue », elle abuse du mot.

En réaction, la presse a tendance à vouloir adoucir le terme de laïcité, et le borde de qualificatifs bien intentionnés, tels que « laïcité ouverte », ou « laïcité apaisée ». Récemment, Le Point allait jusqu’à évoquer deux laïcités : « d’un côté, les partisans d’une laïcité « ouverte », favorables à ce qu’une place soit faite aux religions instituées. De l’autre, ceux qui appellent à une lecture stricte de la tradition laïque française ». Discutable d’assimiler la loi de 1905 et à « une tradition », et au surplus de nier de la sorte qu’elle ne prévoit pas de « place » aux « religions instituées ». (Le Point, 19/01/15).

Morale laïque ?

Enfin, suite aux déclarations de Nadjat Vallaud Belkacem, ministre de l’éducation nationale, beaucoup craignent que la laïcité ne soit le nom d’une moraline lénifiante, paresseusement débarrassée de toute aspérité spirituelle, et rabâchée en boucle dans les écoles. Dans les colonnes de Médiapart, Ruwen Ogien, directeur de recherche au CNRS, signalait le risque qu’il n’y ait qu’une seule morale qui pourrait revendiquer légitimement le droit d’être appelée « laïque ». (Médiapart, « Morale laïque : confusions philosophiques et dangers politiques », 23 avril 2013).

En réalité, la laïcité ne saurait faire l’objet d’une maigre heure hebdomadaire d’enseignement spécifique. La laïcité, on ne le répétera jamais assez, est un principe qui consiste à ouvrir à la diversité des cultures en favorisant une distance critique par rapport au monde réel, et n’exclut pas d’être amené à aborder toutes les problématiques liées à la religion.

Le rôle des médias 

C’est pourquoi cette tâche républicaine incombe aux professeurs de l’ensemble des disciplines, mais aussi aux médias, et en premier chef aux groupes audiovisuels publics.

Comme le soutient Alexandre Michelin, le DG de MSN/Microsoft Europe Moyen Orient Afrique qui est aussi président de la Commission Images de la diversité du Commissariat général à l’égalité des territoires, « En fiction, comme dans l’information, dans les magazines, et dans les divertissements, France Télévisions doit pouvoir porter le message de rassemblement et doit pouvoir nous faire vivre nos valeurs communes. ». (« France Télévisions doit incarner la République », Le Monde, 26/01/15).

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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