Le droit d’auteur « Made in Europe » doit-il être réformé ?

forum-d-avignon-logo-297x75-EN PARTENARIAT AVEC LE FORUM D’AVIGNON –

Vendredi 10 avril, c’est au théâtre de l’Europe, à l’Odéon à Paris, que le laboratoire d’idée Le Forum d’Avignon a choisi de débattre autour du droit d’auteur. Une rencontre qui fait écho à la réunion du 25 mars à la commission européenne de Bruxelles. A l’heure du web 3.0 et de l’économie du partage, le vieux principe de droit d’auteur fait-il obstacle à la création et à la diffusion des contenus culturels ?

La Commission Européenne a fait de la circulation des œuvres, du financement des créations et de l’exploitation future la pierre angulaire du vaste chantier qu’est la stratégie numérique de l’Union. Le principe de droit d’auteur est de manière récurrente accusé, souvent à coup de formules sentencieuses, –  d’être dépassé au regard des pratiques et technologies numériques.

Le droit d’auteur « Made in Europe » doit-il ou non être réformé ? Le débat organisé par le Forum d’Avignon, et qui réunissait créateurs et acteurs institutionnels de la culture,  a permis de soulever des questions et des sous-jacents que ni le rapport Reda ni le débat de la Commission n’avaient discutés, à savoir sur quel terrain situer le débat, s’il est plus judicieux de réviser la durée des droits d’auteur ou bien la durée de la cession des droits.

Au théâtre de l’Odéon, étaient notamment présents Wally Badarou, compositeur et membre du Conseil d’administration de la Sacem ; Françoise Benhamou, économiste, professeur des universités et spécialiste de l’économie de la culture, des médias et du numérique ; David Lacombled, directeur délégué à la stratégie des contenus d’Orange ; Hervé Rony, Directeur général de la SCAM et Pierre Sirinelli, Professeur des Universités et membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA).

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Théâtre de l’Europe, Odéon, Paris. Photo : CS, Intégrales Mag

Lever le géo-blocking

Le débat européen sur le principe de droit d’auteur a pour point d’origine récent un rapport du Parlement Européen publié en janvier préconisant que les liens Internet puissent être autorisés même sans l’aval des détenteurs des droits des contenus (photos, textes, vidéos…).

Il faut dire que le dossier a été confié à une eurodéputée issue du Parti Pirate. En Espagne, 80% des livres numériques sont consommés sous la forme du piratage. Une catégorie que Reda voudrait bien considérer obsolète.

L’état actuel des législations nationales liées au droit d’auteur, particulièrement strictes en France et en Allemagne, pose le problème du géo-blocking, avance le rapport remis à la Commission pour justifier l’imminence d’une réforme. Les contenus culturels, à l’instar des films ou des séries, sont différenciés en fonction des plate-formes, lesquelles ne sont exclusivement accessibles que dans certaines zones géographiques. Une contrainte qui empêche les trois millions d’européens vivant à l’étranger et ceux qui voyagent fréquemment d’accéder à la totalité de l’offre européenne.

En France, par exemple, des plate-forme nées des technologies et des usages contemporains à l’instar de Netflix mettent à mal la chronologie des médias telle que révisée en 2009. Cette règle dispose qu’un film de cinéma doit d’abord sortir dans une salle de cinéma. Les autres modes de diffusion sont ensuite échelonnées sur une échelle de temps qui doit permettre à chaque création de bénéficier d’une fenêtre d’exploitation privilégiée avant de subir la concurrence de la suivante: 4 mois après la salle pour le DVD et la VOD, 10 mois pour une diffusion cryptée (Canal +), 22 mois pour une chaine en clair coproductrice, 30 mois pour les autres chaines en clair, 36 mois pour un service de vidéo en ligne par abonnement.

Dans les faits, cette contrainte, marque de l’exception culturelle française, présente pourtant l’intérêt irremplaçable de reconnaitre les auteurs et de permettre aux « petits » créateurs de se maintenir dans le paysage de la production audiovisuelle européenne.

C’est pourquoi la Société des Auteurs Audiovisuels (SACD) n’ a pas attendu que le Sénat décide d’ auditionner Julia Reda le 2 mai pour publier l’appel des réalisateurs et scénaristes européens qui plaident pour « un traitement équitable à l’ère numérique ».

Un grand marché commun créerait en effet les conditions idéales pour permettre à certaines grandes plateformes de dominer le marché, au détriment des autres. Une telle option économique, néo-libérale, nuirait à l’indépendance et à la diversité de l’expression et de la diffusion culturelles.

Quant à brandir le spectre du géo-blocage comme raison suffisante pour déréglementer l’audiovisuel européen, cela relève d’une erreur de jugement, sinon de la mauvaise foi, puisqu’il a plutôt à voir avec des pratique commerciales qu’avec le principe du droit d’auteur, veulent démasquer les opposants au projet de réforme.

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Réforme ou not réforme ?

« Alors, réforme ou not réforme ? « , relance Laure Kaltenbach. La directrice générale du Forum d’Avignon n’exclut pas que soit réformée la durée des droits d’auteur et celle de la cession des droits, ni que certaines exceptions soient actualisées ou supprimées…cela dans le sens d’un renforcement du droit d’auteur et non de sa suppression.

« Ce qui est inacceptable chez Julia Reda, éclaire Hervé Rony au débat du Forum d’Avignon, c’est idée que puisque négocier avec les auteurs amène son lot de problèmes, la solution est de retirer le droit de contracter par le biais des exceptions. » En suggérant de rendre obligatoires les exceptions au droit d’auteur jusqu’à l’ordre du jour optionnelles, l’euro-députée Reda révoque insidieusement le droit de contracter, un des fondamentaux dans une démocratie.

« Une exception dépossède l’auteur de son droit exclusif. C’est une expropriation, interprète Hervé Rony, directeur général de la Scam. Pour les démultiplier, il faut prouver qu’il y a un problème d’exploitation. Or, le rapport ne le fait pas. »

La SACEM, quant à elle, étudie la possibilité de faire payer l’accès aux oeuvres tombées dans le domaine public, et de dédier les sommes dégagées à un fonds commun à la promotion des créateurs et producteurs culturels.

Un story telling européen de la question des droits d’auteur

Reste que vu de l’étranger, la France passe un pays de création et de production qui s’arc-boute sur un avantage qu’elle possède par rapport aux autres pays européens, majoritairement consommateurs. C’est sans penser que la régulation du droit d’auteur innerve toute l’économie européenne de l’immatériel.

Pour David Lacombled, directeur délégué à la stratégie des contenus d’Orange, il est urgent d’inventer « un storytelling européen de la question des droits d’auteur », car « un projet franco-français ne décollera pas ». Un storytelling qui soit accessible aux citoyens européens, lesquels globalement n’anticipent pas du tout les conséquences sur le long terme d’une réforme telle que voulue par Junker.

Pour l’instant, les contenus que les gens veulent lire et visionner gratuitement sont des oeuvres qui ont pu se développer en tant qu’oeuvres originales, singulières et engagées parce-qu’elles étaient, depuis la fin du XIXè siècle, protégées par des lois sur les droits d’auteur. Ces mêmes consommateurs revendiqueront ils, dans vingt ans, l’accès gratuit à des contenus anonymes et uniformisés, dégagés de toute responsabilité intellectuelle et étrangers à tout style ?

Le projet de réforme des droits d’auteur doit être proposé par le commissaire européen à l’économie numérique Günther Öttinger en septembre 2015.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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