Tony Robinson aux USA et Zyed et Bouna en France : deux réponses face à une jurisprudence à deux vitesse

Aux Etats-Unis, quand le policier blanc qui a tué le jeune noir Tony Robinson a été relaxé, une vaste opération de ShameName a été lancée. En France, l’issue du procès Zyed et Bouna soulève principalement des remarques d’ordre général sur le racisme. 


S’autoriser une comparaison entre l’issue judiciaire du meurtre de Tony Robinson et celle de l’affaire Zyed et Bouna ?  Si les dates des verdicts des tribunaux respectifs sont proches, et que dans les deux cas, il s’agit de policiers « blancs » qui ont eu une incartade mortelle avec des jeunes identifiés « de couleur »,  les dossiers ne sont pas identiques. Aux Etats-Unis, l’officier de police a abattu un jeune sans arme, estimant agir selon sa légitime défense. En France, il s’agissait de deux jeunes qui se sont cachés de la police, et qui sont morts dans leur cavale, sans être secourus alors que la loi prévoit un dispositif d’assistance à personne en danger. Reste que ces deux cas ont été perçus, par une partie de la société civile de part et d’autre de l’Atlantique, comme autant de preuves d’une jurisprudence à deux vitesse.

Shame Name

C’était il y a une semaine. Matt Kenny, l’officier de police qui avait tué de sept balles le 6 mars le jeune Tony Robinson à Madison, ne sera pas poursuivi en justice, avait t-on appris mercredi 13 mai. La ville de Madison n’a pas cessé depuis d’alerter médias et pouvoirs publics sur cette jurisprudence à deux vitesse. En plus de manifestations régulièrement organisées vers le Capitole de la Capitale du Wisconsin, les Anonymous locaux ont lancé une campagne de Shame Name sur internet. (Voir notre reportage à Madison, au lendemain de ma décision de justice du 13 mai)

UnknownIls ont publié via la plate-forme d’annuaire en ligne pastebin.com les noms, adresses et numéros de téléphone des 38 officiers et autres personnes associées au Département de police de Madison, et y compris les coordonnées de Matthew Kenny. Cette forme de manifestation s’avère une forme de protestation efficace, et de qui de plus contient les accès de violence dans la rue.

Sur Twitter, le hashtag #TonyRobinson continue de drainer des injures. Certains jeunes ont répercuté les tensions ainsi déplacée sur le net avec la rigueur d’un greffier. Ils n’ont pas hésité à utiliser internet comme vecteur d’information et de confrontation sur la décision qu’il aurait fallu, selon eux, prendre concernant le cas de Matt Kenny. Le twitto madisonien Joelle, par exemple, engagé dans la lutte pour les droits des Noirs, a retweeté des reportages et des enquêtes qui permettront de constituer des pièces à conviction pour le dossier d’appel à la décision du procureur du Dane County. Les citoyens se sont appropriés un dossier judiciaire, et demandent à peser de tout leur poids dans la façon dont la justice est exercée dans le pays.

Culture juridique


Cette volonté d’interférer dans des procédures estimées arbitraires, voire opaques, on ne l’a pas vraiment vue en France le 18 mai, à la suite de la relaxe des deux fonctionnaires de police poursuivis pour non-assistance à personne en danger après la mort des deux adolescents, en 2005 à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

A Clichy en 2005, la mort de Zyed et Bouna, deux jeunes de cité, dans une course-poursuite avec la police a cristallisé une rage dont la société française n’avait pas conscience. Il y a eu une nouvelle loi sur l’égalité des chances, un plan Espoir banlieues, des subsides pour les associations, mais au final la situation n’a pas réellement changé. En témoigne la façon dont, depuis hier, la décision a été accueillie par la presse, les lecteurs de la presse et les médias sociaux.

Sur Twitter, Facebook et dans les commentaires des sites d’information, les réactions restent d’ordre très général, et bornées dans des catégories qui ne sont pas des observations sur les cas de la sise procédure. On peut diviser les remarques en deux énoncés grossiers, le premier, désespéré, le second, obscène : « La France est résolument raciste »/ « Bien fait pour ces racailles ».

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On ne lit pas, comme aux Etats-Unis, ce souci de s’attaquer à chaque procédure de cet acabit en particulier, et aux auteurs de la décision à travers d’un efficace Shame Name, mais de dénoncer un « Etat », une « société » toute entière qui serait « raciste ».

Pour parler d’enjeux généraux, l’on convoque des spécialistes. Des sociologues, des psychologues, des politologues renommés. Ceux qui savent parler, et non pas, comme aux Etats-Unis, n’importe quel citoyen qui, ayant pris l’initiative de s’intéresser au procès, aurait apporté des éléments qui mériteraient l’examen de journalistes et de juristes. « Toi aussi, fais des paris. A quels « spécialistes » aurons-nous droit cette semaine pour parler de Zyed et Bouna ? » ironisait Sihame Assabague sur Twitter, en référence au hashtag #Banlieues, qui servait sur Twitter d’incipit au teaser d’un débat sur le plateau de l’émission 28 minutes, présentée par la chaîne Arte.

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En faisant du procès Zineb et Bouna un exemple du racisme en France en général, on ne s’attarde que sur les préjugés racistes au lieu de s’attaquer aux conditions économiques et culturelles qui creusent les discriminations. Au risque de créer une inertie : il est presque impossible de raisonner des individus qui se complaisent dans des passions racistes, en revanche, les structures agissantes de la société (les lieux de formation, les entreprises), elles, sont tout à fait réformables.

Dans les médias, la diversité géographique et culturelle est peu exprimée, cela surtout, il nous semble, parce qu’en France, il faut être cultivé et évoluer dans un lieu central, décisionnel, pour être « présentable ». S’il y a peu de gens d’origine maghrébine ou antillaise qui signent les articles des grands titres nationaux, c’est moins du fait de leur couleur de peau que parce qu’ils n’ont pas pu accéder au niveau d’étude et aux lieux stratégiques qui les auraient conduit à une visibilité gagnante. C’est ainsi que pour les médias autant que pour les écoles, la diversité relève d’un effort à un faire, d’une main tendue vers les populations déterminées comme impuissantes.

En France, la discrimination est d’ordre socio-culturelle plus que précisément raciale, quand bien même les préjugés racistes sont réels (il faudrait d’ailleurs nuancer ce constat selon les régions, les milieux, les familles …).

Révolte confisquée


Dans cet indéfini temps de latence, les banlieues vont-elles à nouveau s’embraser ? Rien n’est moins certain, tant les habitants des cités désespèrent de faire entendre les revendications d’équité auxquelles ils aspirent à bon droit.

En France, l’insurrection populaire est un quasi-droit coutumier depuis 1793. Mais, quand cette violence est exercée en banlieue, comme se fut le cas en 2005 notamment, le terme qui s’impose automatiquement est celui d’ « émeutes urbaines ». On ne dépêche pas des historiens et des philosophes, mais des policiers et des éducateurs. Une manière violente de considérer ces Français comme des sous-citoyens, de les minoriser au sens juridique du terme – encore une fois, cela moins à cause de leur couleur de peau que de leur situation, c’est à dire de leur potentialité supposée à influencer économiquement et culturellement la France.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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