Maroc Hebdo : quand la haine est sacrée loi, que peut Facebook ?

Le numéro de Maroc Hebdo qui incitait à la persécution des homosexuels a été retiré des kiosques suite à la pression des réseaux sociaux. Mais, Twitter, Facebook et les plate-formes de pétitions en ligne ne remplacent pas les institutions qui permettraient de ne pas donner à ces appels au bafouement des droits humains un fondement juridique. 

« Faut-il brûler les homos ? » : Maroc Hebdo a provoqué un tollé dont le lourd écho a embrasé les réseaux sociaux marocains et français, si bien que le magazine a été retiré des kiosques au Maghreb et en France, vendredi 12 juin.

Le journal, tiré à 15 000 exemplaires par semaine et diffusé dans de nombreux pays étrangers, savait bien l’impact des commentaires et des médias sociaux, et avait sans nul doute anticipé que le risque d’indignation traverserait les frontières du royaume. Alors, pourquoi s’est-il autorisé  à inciter des citoyens à en éliminer d’autres par la vindicte des flammes ? Et pourquoi, aux lecteurs qui demandaient des explications, a t-il rétorqué sans vergogne sur sa page Facebook :  » Le législateur a en charge ces attributions et cette mission d’ordre public. Il y a encore tant à faire pour la consolidation des droits de l’Homme pour ne pas se fourvoyer dans un combat douteux d’une cause aussi marginale que celle de la dépénalisation de l’homosexualité ! » ?

C’est que ce cri de haine, à gros traits clamés sur la couverture de Maroc Hebdo, puise son souffle dans des préceptes inscrits comme lois locales, et que ni les institutions supra-nationales, ni les associations internationales, ne sont parvenues à remplacer par des textes respectueux des droits humains. L’article 489 du code pénal du Royaume du Maroc condamne  » les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe. » Cela implique qu’il est légal de dénoncer son voisin ou sa voisine pour fait d’homosexualité, à l’appui de preuves douteusement établies par l’humiliation, la contrainte de l’aveu, le mensonge.

Ce qui est important de savoir, c’est que la prose de Maroc Hebdo fait suite à la répression du happening qui s’est produit à Rabat, quelque jours avant la sortie du numéro de l’hebdomadaire. Deux garçons ont été arrêtés alors qu’ils se prenaient en photo sur l’esplanade de la tour Hassan à Rabat. La police, qui les soupçonnaient d’être « trop proches » a traduit les jeunes gens devant la justice. Devant le tribunal populaire des rumeurs de rue et des internets. C’est dans ce climat de traque des individus convaincus d’homosexualité que le magazine s’est autorisé de poser, en toute candeur apparente, la question de savoir s’il ne fallait pas « brûler les homos ».

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Par delà Twitter, refonder les lois

Les médias français se sont montrés soulagés de voir la publication retirée des kiosques le soir même suite à l’indignation des réseaux sociaux. Pourtant, ce qui est dit sur ces sites ne remplacent pas les textes législatifs, et c’est pour cela qu’une « alerte collective » sur Facebook ou Twitter n’a pas la puissance d’un outil juridique de refondation des lois . De surcroit, la grande visibilité des commentaires et de tweets outrés devant la couverture de Maroc Hebdo ne doit pas faire oublier que seule une petite partie de la société manifeste son indignation face à la violence faite aux homosexuels. La persécution des gays et la haine de l’homosexualité  restera vivace dans la société marocaine tant qu’elle trouvera des bases juridiques pour lui donner l’illusion du bon droit.

La publication du dernier numéro de Maroc Hebdo et son retrait des kiosques fait apparaitre que l’influence des réseaux sociaux n’est efficiente qu’après-coup,  pour gommer ci et là certains effets visibles du mépris d’un Etat pour les droits individuels des citoyens. Par exemple, les plate-formes de pétitions en ligne consacrées à la cause des LGBT, à l’instar de All Out, sensibilisent les internautes à des cas d’homosexuels persécutés. L’initiative est nécessaire, mais insuffisante si les institutions internationales ne font pas voter des lois qui s’attaquent au principe de discrimination des individus pour leur orientation sexuelle. Par ailleurs, le risque est que les gens pensent en terme de droits des homosexuels, ou en terme de droits des homosexuels de tel pays, ce qui est un contresens.

Par delà les frontières des Etats 

 Il est question de droits humains, et cette flétrissure qu’implique à l’égard des gays où que ce soit dans le monde l’existance d’un délit d’homosexualité nous atteint tous en tant qu’humains.

Au Maroc, le collectif Aswat qui se bat pour que le délit d’homosexualité disparaisse du code pénal, confie souffrir d’un manque de soutien de l’étranger, parfois par absence de conscience de ce qui se passe vraiment des traques qui vont au delà de la discrimination. Dans les pays où l’homosexualité est pénalisée ou passible de la peine de mort, les gays ou tou(te)s ceux qui sont soupçonnés « de l’être » se font lyncher avec la complicité des gouvernements. Les associations LGBT penneraient-elles à s’internationaliser ?

Comme le rappelle Robert Badinter, non seulement l’intelligence des libertés fondamentales ne peut avoir de frontières étatiques, mais aussi, elle passe nécessairement par le bais législatif. En France, après plusieurs mois de navette parlementaire, l’article de loi qui mettait fin au délit d’homosexualité adopté par le régime de Vichy fut définitivement voté  le 27 juillet 1982. En 2015, le même Robert Badinter soutient le combat de l’avocate Alice N’kom, qui milite au Cameroun contre la répression des LGBT. Les mobilisations sur les réseaux sociaux ne valent que si elles apportent les éléments d’un débat juridique qui débouche sur une situation où les citoyens jouiraient enfin d’une de leur libertés fondamentales jusqu’alors bafouée.

– A revoir, le discours de M. Badinter enregistré et diffusé à l’occasion du 4ème forum mondial des droits de l’Homme de Nantes du 28 juin au 1er juillet 2010

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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