LE CRIBLE MEDIAS
Dimanche soir, la police belge a appelé médias et internautes à ne plus donner d’indications de nature à renseigner les terroristes sur le déroulement des opérations. Les internautes locaux, relayés par les grands médias d’information, ont réagi par l’absurde, en tweetant des lolcats assortis du hashtag #BrusselsLockDown. Une manière de prendre part aux événements, quand bien-même ils furent, de manière inédite, privés de circulation et de communication ?
Cette information, la presse belge la délivre ce matin en pointillés : les autorités du Royaume seraient parvenues dimanche, grâce à une longue série de perquisitions, à déjouer des attentats qui visaient Bruxelles. C’est ce qu’avancent De Tijd et l’Echo, en citant « des sources bien informées. »
Au lendemain du #BrusselsLockDown, les journaux belges sont simplement en mesure de répercuter les informations que le parquet a bien voulu communiquer à la presse : dix-neuf perquisitions, 16 interpellations, pas d’armes saisies, des opérations qui se poursuivent.
“Il fait un temps à ne pas mettre un terroriste dehors”, écrivait Le Soir samedi 21 novembre pour décrire avec un peu d’humour la situation anxiogène d’une capitale belge, sous alerte maximale : fermeture des centres commerciaux, des théâtres et cinémas, du métro, et invitation à rester chez soi, tandis que dans les rues patrouillent des blindés et se déroulent des opérations dont on ignore les tenants et les aboutissants.
La presse, elle, est priée de ne pas sortir non plus dans les rues. Dimanche soir, la police a appelé médias et internautes à ne plus donner d’indications qui pourraient être récupérées par les terroristes et gêner le travail des forces de l’ordre. Le Parquet a conclut, à minuit et demi, par un point presse en trois langues, sans toutefois accepter les questions des journalistes, pour ne pas troubler l’enquête. Un appel observé par les médias et la population, mais ce avec humour. Comme si les citoyens voulaient tout de même prendre part à un processus qui leur échappe totalement.
« Avons-nous fini le travail des terroristes ? »
Depuis mardi, la presse belge reprend son souffle et son esprit critique : Le lendemain matin, La Libre Belgique s’interroge : en mettant la ville à l’arrêt et les médias au silence radio, “avons-nous ‘fini le travail’ [des terroristes], comme on le redoutait ? Le gouvernement est-il allé trop loin, trop vite, en plongeant le pays dans une sorte de psychose collective ?” Pour le quotidien francophone, la question est presque indécente, étant donné la menace imminente d’un attentat sanglant. Plus ferme encore le quotidien régional Het Belang van Limburg appelle à un security shift, un tournant sécuritaire.
Ceci est un lockdown
Bruxelles, une ville que les médias ne couvrent plus « jusqu’à nouvel ordre » ? Les internautes locaux ont décidé de couvrir plus que jamais en inondant Twitter de #BrusselsLockDown. Outre-Quiévrain, les Français, solidaires et admiratifs du flegme belge, ont largement relayé les tweets.
« La consécration de mon abnégation twittesque a brillé au firmament de l’entertainment audiovisuel, lorsque Yann Barthès a décidé d’ouvrir son Petit Journal avec mes deux Gifs de chatons », en sourit le journaliste Nicolas Becquet.
Des chatons. Dans l’usage, les lolcats sur internet sont l’habitude d’adolescents qui trompent leur ennui en postant des photos de leur animal de compagnie sur les réseaux sociaux. En l’occurrence, cette pulvérisation de mièvrerie, qui contraste avec l’atrocité des actes dont sont capables les terrorises fondamentalistes, était une manière de refuser d’abreuver le net d’images qui auraient pu être des hoax . C’est aussi une façon de souligner l’absurdité de la situation sans contester la décision des forces de l’ordre pour autant.
Cet appel à la figure de l’animal n’est pas sans faire résonance avec La Ferme des animaux de Georges Orwell : l’histoire se déroule au Manoir de Mr Jones, où ce fermier exerce une forte autorité sur ses animaux, jusqu’au jour où Sage l’ancien réunit les animaux dans la grange pour leur parler de son rêve : un monde débarrassé de la race humaine.Un règlement (sous forme de liste de commandements) est établi et inscrit sur le mur de la ferme : les hommes sont farouchement exclus de cette société. Comme cela aurait pu être le cas quand Bruxelles fut coupée et de la circulation et de la communication.
(Par Lila Neval)
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