En décidant de ne pas imprimer les journaux qui ne diffuseraient pas leur tribune datée du jeudi 26 mai, les syndicats de la Filpac-CGT n’auront pas simplifié la tâche des journalistes qui, dans un contexte où la majorité des médias du pays sont concentrés dans une vingtaine de grands groupes, défendent l’autonomie éditoriale.
Jeudi 26 mai, les patrons des quotidiens nationaux ont vivement protesté contre la décision de la Filpac-CGT de ne pas les imprimer, au motif explicite qu’ils ont refusé de publier une tribune signée par le secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez. Une décision qui aurait même gêné aux entournures l’auteur de la tribune.
Procès en stalinisme
Comme le remarque Le monde, le qualificatif employé pour désigner la réaction de la Filpac- CGT, « honteux », est le même, du libéral Nicolas Beytout, directeur de L’Opinion, au social-démocrate Laurent Joffrin, son homologue de Libération. De nombreux directeurs de rédactions et journalistes se sont étonnés de l’attitude de la Filpac-CGT. La tribune syndicale valait-elle le blocage de la parution de journaux qui avaient le droit légitime de refuser de la relayer intégralement et au discours direct dans leurs colonnes ?
« Nous avons pour règle de ne jamais publier ce type de communiqué politique, tranche Jérôme Fenoglio, le directeur du Monde. Le chantage à la non-parution, pour nous contraindre à violer nos propres principes, était évidemment inacceptable. »
«Nous avons été approchés par la CGT en interne, contredit pourtant dans Libération Jean-Claude Kling, secrétaire général de Sipa – Ouest-France, l’éditeur du plus grand quotidien régional, nous avons répondu par la négative mais cela n’a eu aucune incidence.»
Trop tard. Le procès au chantage est dressé, et relayé par certains éditorialistes en véritable accusation de stalinisme. Dans un éditorial du Point, Franz Olivier Giesberg désignait hier la CGT par la périphrase « Une secte apocalyptique« .
Dorénavant, quand des journalistes vont critiquer, en vertu du principe de l’autonomie des rédactions qu’implique la liberté de la presse, l’influence des Bolloré, Drahi ou PNB sur les contenus des titres de presse qu’ils possèdent ou dont ils sont les actionnaires majoritaires, ces derniers pourront aisément brandir le spectre de la « terreur qu’est capable d’exercer la CGT« .
Mauvaise opération de communication
Enfin, la très mauvaise opération de communication attribuée à la CGT ne fait pas oublier que la quasi-totalité des médias généralistes du pays sont concentrés dans une vingtaine de grands groupes, dont la plupart appartiennent à de riches industriels qui ont fait fortune dans les transports, le bâtiment, le luxe, les télécommunications. Sur le long terme, cette situation économique des médias est plus préoccupante pour l’indépendance de la presse que le chantage ponctuel à la non-parution imposé par une Filpac-CGT échauffée par des manifestations populaires contre une loi impopulaire. Pourtant, les lecteurs risquent de retenir pour longtemps le méfait du 26 mai. Et de ne pas s’offusquer si tel ou tel documentaire est censuré par un patron comme Vincent Bolloré. Selon le comité d’investigation de la chaîne, depuis qu’il est arrivé à la tête de Canal Plus, le néo-patron de Canal a retoqué de cruciaux sujets de société comme « Volkswagen, l’entreprise de tous les scandales »,« Le monde selon Youtube », « Attentats : les dysfonctionnements des services de renseignement », ou encore « Nutella, les tartines de la discorde ».
- A qui appartient la presse française ? A lire dans L’Obs.
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