Quand Valls s’octroie un droit de réponse sur la liberté des femmes françaises

COMMUNICATION POLITIQUE 

« En France, toutes les femmes sont libres » rétorque Manuel Valls à une enquête du New York Times sur les discriminations des françaises musulmanes dans leur propre pays. Une réaction contradictoire : si tel est le cas, pourquoi donc manifester sa fureur quand certaines d’entre-elles s’expriment librement ?

Que des françaises de confession musulmane aient confié, souvent avec emphase, au New York Times les discriminations qu’elles subissent, cela n’a pas plu au premier ministre. Manuel Valls s’est empressé de leur couper la parole pour brandir un plaidoyer sur la liberté de la femme française.

« Les voix des femmes musulmanes ont été quasiment noyées » dans les vagues estivales de la polémique sur le burkini, jugeait le New York Times. Sur le sujet, la plupart des médias français avaient préféré donner un écho aux positions des édiles locaux – masculins pour la plupart d’entre-eux, la France ayant du chemin à faire en matière d’équité hommes-femmes. Dans un article à charge contre la pente islamophobe sur laquelle glisse à vitesse croissante la société française, le quotidien américain a interrogé des femmes françaises et musulmanes sur le voile.

Dans cet article, on lit par exemple le témoignage d’Halima Djalab Bouguerra, une étudiante de 21 ans de Bourg-en-Bresse (Ain). La jeune femme aperçoit que « Les langues se sont déliées, plus personne n’a peur de dire à un musulman : “Rentre chez toi”. » On aimerait bien savoir où se trouve la Musulmanie !

La démarche du journal américain a fortement déplue à Manuel Valls, qui, furieux, a jugé opportun d’y répondre trois jours après sa publication – en sa qualité de premier ministre de la France – par une tribune au Huffington Post parue lundi 5 septembre.

Voix étouffées

Mais, si « en France, les femmes sont libres », comme l’asserte Manuel Valls, pourquoi donc manifester sa fureur quand certaines d’entre-elles s’expriment librement ?

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« Ce que je conteste avec la plus grande vigueur, c’est que la journaliste donne la parole à des femmes de confession musulmane en prétendant que leur voix serait étouffée, et ce, pour dresser le portrait d’une France qui les oppresserait (…) une France avec un régime d’apartheid forçant les musulmans à quitter leur pays pour faire des études, trouver un emploi, faire carrière. », écrit le premier ministre.

Pourtant, pas besoin de statistiques ethniques pour remarquer qu’une proportion infime de jeunes descendants de deux ou trois générations de familles originaires du Maghreb – classifiés de ce fait « musulmans »- accède en France aux aménités dont jouit la bourgeoisie. Loisirs individuels de plein air, cafés urbains, boutiques agréables…. A ne pas douter, cet hiver dans les Alpes, les pistes de ski ressembleront à un Camp Décolonial inversé. L’élimage de la classe moyenne  en France ne fait que forcir le trait.

Quand certaines femmes interrogées par le New York Times dénoncent une « situation d’apartheid », c’est au lecteur de faire la part des choses entre les mots jetés par une colère sédimentée depuis des années et les définitions exactes des termes historiques.

Certes, Valls reconnait « la xénophobie », et « les actes antimusulmans qui peuvent exister » dans son pays. Mais pourquoi ne pas identifier avec méthode les types de discriminations qui ressortent de ces témoignages et lancer un grand cahier de doléance des discriminations qui visent spécifiquement et nommément les Musulman(e)s en France ?

Au lieu de cela, le premier ministre postillonne des remarques de mauvaise foi. Il décrète infondée une enquête « anglée » (la visée du New York Times était de mettre au jour les cas d’humiliation et de discrimination – voire de ségrégation des Français de confession musulmane), mais qui n’avait rien toutefois d’un micro-trottoir sensationnaliste.

On ne peut porter grief au New York Times de faire du French Bashing, étant donné que le journal a réalisé sans plus de complaisance, des enquêtes de ce type sur la conditions des Américains noirs, , lors des manifestations Black Lives Matter qui ont ont éclaté en 2015,

« On est donc loin du sensationnalisme des commentaires de Fox News sur les « no-go zones » parisiennes, pour lesquels la chaîne avait dû s’excuser après les attentats de Paris en novembre 2015. », note « Les Décodeurs » du Monde.

Valls accuse implicitement le quotidien américain de faire le jeu des islamistes en terre meurtrie par les attentats :  « la démocratie, la laïcité, l’égalité femmes-hommes » est « le coup le plus cinglant que nous pourrons porter à l’islamisme radical, qui n’aspire qu’à une seule chose : nous dresser tous les uns contre les autres« .

Principes et réalités

A la fin de sa tribune, le locataire de Matignon rappelle des principes et des vérités-repères auxquels la République ne doit pas renoncer, mais qui semblent pourtant déconnectés du sujet de l’article qu’il entend démonter. « La laïcité, ce n’est pas la négation de la religion. Elle fixe simplement une séparation très nette entre ce qui relève du temporel et du spirituel. », ou encore « Il y a bien domination masculine, dès lors que l’on considère que le corps de la femme doit être soustrait de l’espace public. »(référence à la Burqa et au Niqab).

Les témoignages recueillis par le New York Times invitaient t-ils à  énième une lecture au prisme du mal nommé « Burkini » et de la laïcité ? L’épanchement épuisé de femmes musulmanes semblait bien plutôt ouvrir la porte à des discussions pragmatiques : comment faire pour que les futures générations de citoyennes musulmans ne voient leur vie scolaire, professionnelle et culturelle sans cesse voilée par le regard que la société porte trop souvent sur elles ? L’article du New York Times engage à la cohésion nationale et non à la division.

Comment l’Etat est-il en moyen de leur garantir une liberté en fait et pas seulement en droit, d’existence et non pas seulement de principe ? Valls éclipse cette question lorsqu’il affirme, à la première personne  : toutes les femmes françaises sont également libres puisque je prononce cette phrase. Un axiome qui ne s’adresse une nouvelle fois pas de manière directe aux femmes intéressées… et qui risque bien d’exciter les replis communautaristes – étriqués, racistes, haineux, ostentatoires- contre lesquels la République se bat, et à raison.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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