Comment Facebook modifie notre ADN politique

Il serait simpliste de porter grief à Facebook ou à Twitter de faire le jeu de tel ou tel candidat à une présidentielle. Mais il est certain que les réseaux sociaux sont en train de modifier l’ADN politique de l’électeur.

Les réseaux sociaux ne sont pas les faiseurs de rois d’une élection politique, et l’importance de leur influence sur les citoyens est à relativiser. Mais, l’usage de Facebook ou de Twitter change en lame de fond les représentations populaires du gouvernement en démocratie.

Concentration de l’info 

Au lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique, plusieurs médias américains ont ouvert le procès de Facebook. Select All, un site du New York Mag, est allé jusqu’à écrire que  Donald Trump avait gagné » à cause de Facebook. » Parmi les 67% d’adultes américains disant utiliser Facebook, 44% expliquent l’utiliser comme source d’information, avançait une récente étude du Pew Research Center. De facto, une grande partie des discussions politiques aux Etats-Unis se déroulent aujourd’hui sur cette plateforme qui centralise la consommation d’informations en ligne. Cela, le candidat républicain l’a bien compris. Il a choisi Youtube pour diffuser son discours de pré-investiture.

Cette polémique a conduit le réseau social mais aussi Google à annoncer de nouvelles mesures pour lutter contre le phénomène. Pour limiter l’intox sur les réseaux sociaux et sur le moteur de recherche, Google et Facebook entendent interdire aux sites diffusant délibérément de fausses informations de faire de la publicité. Google prévoit d’interdire l’usage d’AdSense (un dispositif qui permet de placer des encarts publicitaires sur un site web) aux acteurs publiant ce type de contenus. Facebook, de son côté, annonce qu’il ajoute les sites de fausses informations à la liste des sites interdits de publicité sur son réseau.

Infographie : Boxons
Infographie : Boxons

Toutefois, ce n’est pas Facebook ou Twitter qui porte tel ou tel candidat au pouvoir, ni même qui anticipe la victoire de tel ou tel candidat.

Tout d’abord, parce-que la télévision conserve sa prérogative de média influent. En France, les électeurs attendent des candidats qu’ils passent l’épreuve du grand débat télévisé ; une tradition qui remonte aux débuts de la Vè République. Lors du débat opposant François Fillon à Alain Juppé, jeudi 24 novembre, au total 8,4 millions de téléspectateurs ont assisté aux échanges.

Presque 3 millions sont restés pour assister à l’après-débat proposé par France 2, signe que les commentaires sur les réseaux sociaux se nourrissent des échanges qui ont lieu sur le plateau de la télévision, où la parole est modérée (par le présentateur), régulée (par le CSA) et ouverte à tout citoyen possible (au contraire des algorithmes de Facebook qui créent des bulles hermétiques de discussion).

Mauvais indicateur

imgresEnsuite, parce-que les réseaux sociaux échouent à refléter le succès des candidats à l’élection. Les cabinets de veille à l’instar de Visibrain ou de Talkwalker, qui comptabilisent les mentions, partages, commentaires ou « like » sur les plateformes sociales, les sites d’actualité et les blogs, indiquaient que Nicolas Sarkozy était le candidat plus présent. Cette méthode de sondage de l’opinion n’a pourtant pas permis de prévoir la victoire de François Fillon au premier tour de la primaire du droite et du centre. « Le web social n’est pas un bon indicateur pour évaluer la puissance d’un candidat dans les urnes« , conclut le spécialiste des réseaux sociaux Nicolas Vanderbiest sur son blog ReputatioLab.

Éliminez, plébiscitez

Néanmoins, s’il on analyse les commentaires, les posts et les réactions rédigés sur les réseaux sociaux relatifs aux échéances politiques non en tant que sources d’information – exactes ou inexactes – mais comme éléments d’information sur l’impact des réseaux sociaux sur les représentations du fait politique à long terme, on s’aperçoit que la pratique de l’information et du dialogue sur les réseaux sociaux modifie l’ADN de l’électeur, autrement dit, son comportement politique.

Il a été surprenant de remarquer qu’aux Etats-Unis aussi bien qu’en France, pays tous deux en période électorale, un comportement similaire sur les réseaux sociaux : l’accent est porté non pas sur la manière de mettre en place le gouvernement, mais au contraire sur la possibilité de le déposer. « Destituons François Hollande ! », « Éliminons Nicolas Sarkozy », « Hillary Clinton, en prison ! ».
Le terme « démocratie » signifie le pouvoir du peuple : sur les réseaux sociaux, l’agglomération des utilisateurs, qui se pense comme « le peuple », semble s’agacer de de ne pas détenir le pouvoir. Les gens s’aperçoivent que poster des commentaires ne fait pas d’eux des gouvernants. Ce n’est pas Twitter qui fait la loi.

A défaut de pouvoir régner, ils entendent décider de « qui doit régner ». Or, « qui doit régner » est une question dangereuse car elle peut conduire à l’obsession de plébisciter l’élimination focalisation obsessionnelles sur les individus. En témoigne l’omni-récurrence de Nicolas Sarkozy les semaines qui ont précédé le premier tout de la primaire de droite et du centre, et qu’on a interprété à tort comme les prémisses d’un succès de ce candidat.

En fait, les attaques ad hominem et les calomnies prennent le pas sur les arguments en faveur des candidats. Alain Juppé s’est plaint d’une campagne de calomnie sur les réseaux sociaux le visant comme « Ali Juppé », « Le grand Imam de Bordeaux », dénigrement orchestré par des groupuscules d’extrême droite à l’instar de Risposte Laïque ou Egalité et Réconciliation.

La liberté de s’exprimer qu’offre Facebook ou Twitter n’est plus un moyen d’éprouver l’exactitude de nos propres jugements, ni même de convaincre autrui du bienfondé de sa pensée, mais un outil mobilisable par n’importe-qui pour se faire le procureur issu du peuple.

« Parti des médias »

Les réseaux sociaux célèbrent pour elle-même la tendance à vouloir se faire le justicier populaire face à « l’élite » : les commentaires venimeux sont valorisés, en exacerbent cette posture de ce que Kant appelle l’égoïste logique. « Je suis courageux, je dis ce que je pense, à contre-courant de l’opinion véhiculée par l’establishment ». Plus le commentaire ou le post parait violent, c’est à dire plus il suscité un effet de surprise et de choc, plus il est valorisé par des « partages », des « likes » et des « fav ». Et peu importe si le discours véhicule de fausses informations issus de sites entretenus par des personnes qui ne sont pas des professionnels de l’information. Seul compte l’impact. D’où la prolifération de sites de fausses infos.

imagesLes adolescents – et les adultes – séduits par ces plateformes ne sont pas toujours de grands naïfs, mais ils préfèrent accorder du crédit à quelqu’un qu’ils croient audacieux qu’à un média institué, forcément ligoté par l’intelligentsia. Dans ce contexte, il est de bon ton de blâmer sur les réseaux sociaux le « parti des médias », chimère obsessionnelle créée pour l’occasion.

Doit-on rappeler l’homogénéité sociale de la profession de journaliste avec les autres professions ? En 2015, sur les 35 928 cartes de presse attribuées, le salaire correspond en moyenne à 1,2 fois le salaire moyen, et que les 10% les mieux payés gagnent quatre fois ce que gagnent les 10% les moins payés. Il faut aussi rappeler que les journalistes professionnels exercent sur tout le territoire, et qu’ils se rendent sur les terrains de la vie citoyenne. Le tableau d’une caste journalistique  financière et coupée des réalités du pays est une projection mentale erronée.

Jusqu’à présent, les électeurs votaient en fonction des programmes. Ils étaient influencés par ce qu’ils entendaient ou lisaient dans les médias. Aujourd’hui, Facebook est un levier qui donne à l’électeur les moyens de s’improviser procureur populaire qui élimine, plébiscite, ré-informe. Qui sera l’électeur de demain ?

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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