Comment Macron marche aux algorithmes

Hall 6 du Parc des expositions de Paris, samedi 10 décembre, Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle française de 2017, a rassemblé entre 10 000 et 15 000 personnes dans un climat électrique. Les clefs du succès du meeting « En Marche » : une méthode de stratégie électorale digitale qui a permis au candidat d’optimiser l’efficacité de son discours.

Comment Emmanuel Macron a t-il réussi à convaincre plus de 10 000 personnes, jeunes et plus jeunes, en se présentant comme « le candidat du travail » sans passer pour un Sarkozy qui aurait réussi ? Comment le candidat du mouvement « En Marche » a t-il réussi la gageure de provoquer une standing ovation en évoquant l’Union Européenne, thème que l’on croyait boudé par les citoyens français ? Grâce à un ciblage algorithmique inédit de ce que les électeurs sont prêts à entendre et qui permet de rendre le discours le plus pertinent possible pour le plus de monde possible. Décryptage d’une méthode politique qui présente des limites.

Stratégie éditoriale digitale

La méthode est inspirée de la stratégie électorale digitale adoptée par Barack Obama en 2012 : en juin dernier, 4 000 volontaires ont lancé l’appli de la Grande Marche sur leurs écrans de smartphones et tablettes en allant « à la rencontre des Français ». 6 200 quartiers (au sens de l’Insee) ont été sélectionnés par l’ équipe Macron pour constituer une base représentative. Une première application, 50+1, guidait les « marcheurs » dans leur parcours. Une deuxième permettait de recueillir le miel de conversations qui ont duré en moyenne quatorze minutes. 100 000 « conversations » auraient été collectées (et 25 000 questionnaires entièrement remplis). Résultat : quelque 25 000 questionnaires remplis sur l’application ad hoc, rapporte Rue89.

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Ce n’est donc pas un traditionnel sondage, où l’on pose des questions fermées à un échantillon de la population, ni non plus un “focus group”, où l’on interroge longuement une poignée de personnes sur un sujet donné.

Dans un second temps, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, s’est tournée vers Proxem, start-up spécialisée dans l’analyse sémantique de big data textuelle, en vue de tirer un maximum d’enseignements des propos des personnes interrogées, rapporte encore Rue89. Objectif : identifier les problèmes concrets que dit rencontrer tel ou tel bassin de population et fournir une cartographique des préoccupations dominantes des Français.

« Grâce à un moteur de recherche, on pourra croiser des critères, voir la manifestation d’un signal faible, vérifier des intuitions. Que disent les femmes, cadres supérieurs, des “commerces de proximité” ? Si 100 personnes en parlent sur 100 000, c’est du 0,1 % mais si elles en parlent c’est que ce point a de l’importance à leurs yeux. On peut se dire qu’il y a quelque chose à creuser. », détaille à Rue 89 François-Régis Chaumartin, DG de Proxem.

Les data-stratèges d’En Marche peuvent alors dégager des corrélations, identifier les préoccupations de certaines catégories socio-professionnelles, et décider de faire dans la pédagogie s’ils mesurent une différence entre la perception d’un phénomène et sa réalité (par exemple : l’Europe, l’immigration, le chômage).

Un programme politique dans les données ?

A travers cette marche confortable, Emmanuel Macron s’est économisé bien des ampoules aux pieds, autrement dit, des années de militantisme pénible, des marchés pluvieux où les commerçants tancent les politiques, des chaises mal alignées lors d’interminables permanences du samedi, des discours prononcés devant une vingtaines de personnes le nez plongé dans leur gobelet en plastique. Soit autant d’expériences humaines qui vous apprennent l’humilité. Un candidat boosté aux « algos » aura t-il la même maturité qu’un candidat qui a essuyé en campagne des longueurs, des échecs, des défaites ? Aux yeux de certains, le candidat fait ses vocalises en hurlant devant une foule de supporters, mais n’a pas appris à travailler sa voix en fonction de contextes divers.

Macron peu avant son meeting du 10 décembre à Paris. Photo issue de son compte Instagram.
Macron peu avant son meeting du 10 décembre à Paris. Photo issue de son compte Instagram.

La méthode de diagnostic elle-même pose question. Chercheuse au centre de recherche information, droit et société de l’université de Namur, Antoinette Rouvroy estime que « la neutralité de l’analyse, sa parfaite objectivité« , sont des illusions qu’il convient de démonter  : « Les discours des citoyens doivent être transcrits sous forme de signaux a-signifiants mais calculables. Ce que les gens disent est fragmenté sous forme de données métabolisables par les machines. Cela signifie notamment que le discours soit expurgé de son contexte d’énonciation, qu’il ne tienne pas compte des circonstances ni de la relation humaine nouée au moment de la rencontre. Enregistrer des données, ce n’est pas encore écouter la personne. » (La gouvernementalité algorithmique ou l’art de ne pas changer le monde, propos disponible à l’écoute via Youtube).

A ses yeux, l’homme ou la femme politique ne sont pas des sismographes capables de réagir aux problèmes que rencontre un pays comme s’il s’agissait de « stimuli numériques ». Les données, qui sont les résultats de calculs, permettent indéniablement d’identifier des mots clefs en vue de structurer efficacement un discours électoral, mais ne sont néanmoins pas les paroles, les impressions, les souvenirs qui forment de réels retours de campagnes.

Vérité objective 

Il serait illusoire de prétendre « découvrir », comme l’on découvre une vérité objective, un programme politique dans un faisceau de données. De plus, cette stratégie électorale basée sur la collecte et le tri des data encourage l’équipe de campagne à faire l’économie de l’interprétation, qui est un process pleinement humain : pourquoi tel ou tel citoyen rencontré, dans tel contexte, va vouloir attirer l’attention d’un politique sur tel ou tel phénomène ? Comment juger de la valeur d’un propos tenu par un(e) citoyen(ne) ? La syntaxe et la sémantique algorithmiques trient, mais ne hiérarchisent pas. La logique du « mot clef », du terme récurent, n’est pas celle de la recherche de la vérité de la parole.

Prendre le pouls du pays suppose de palper des pulsations humaines. En consultant une grammaire mathématique en guise de diagnostic politique, le candidat risque de manquer le coeur de la vie civile. La politique « En Marche » n’est plus complètement la politique chemin faisant. La marche de l’histoire ?

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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