Les mots français de la campagne

Caractéristiques de la tradition politique française, certaines formules continuent d’étonner la presse étrangère. « Idéal républicain », « vivre ensemble », « laïcité, « identité française » ? Comment les candidats à la présidentielle de 2017 se servent-ils de ces lieux communs politiques pour légitimer leurs orientations idéologiques et convaincre du bienfondé de leur offre ? Décryptage.

1. L’idéal républicain

Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) : « L’idéal républicain va mourir », en meeting Place de la Bastille, 18 mars 2017.

Lorsque les médias français et internationaux s’interrogent sur la République, ils scrutent les failles, les manquements ou les difficultés d’accomplissement de ce qu’ils entrevoient sans précision soit comme un type de gouvernement soit comme un idéal, cela non sans prendre le risque de laisser s’évaporer l’idée de République dans une atmosphère chargée de polémiques de circonstances.

Un accrochage sur une tenue de bain, le comportement abusif d’un policier, une agression armée dans un lycée, une condamnation pour corruption d’un candidat à l’élection présidentielle : autant de signes, lit-on, de la défaite de la République.

La République, donc, serait ou bien un outil indispensable pour façonner la démocratie aujourd’hui, ou bien a contrario, une notion caduque incapable de donner corps, trois cent ans après la Révolution qui l’a installée, à une société démocratique en France. Affirmer cela relève d’un contresens : on confond l’idée de République avec les conditions concrètes (économiques, sociales) de sa réalisation.

2. Le vivre ensemble

15946269-1Benoit Hamon (Parti Socialiste) : « La colère risque de l’emporter sur l’espoir et le désir de vivre ensemble. », dans son essai « Pour la génération qui vient » (2017)

Paroles d’élus : « La République est ce qui permet le vivre ensemble ». La République est un mouvement de constitution d’un rapport commun des libertés, où chaque liberté individuelle, sans cesser d’être individuelle, en sa vocation de dépassement, donne aux autres et reçoit toutes les autres libertés.

Ce fameux « idéal républicain » est-il porteur du « vivre ensemble » ? La République ne devrait-elle pas permettre tout autant le non « vivre ensemble », aussi peu séduisant que cela puisse paraître ?

3. La laïcité

Marine Le Pen (Front National) : « Les grandes croix n’existent pas. Les religions chrétiennes n’ont pas de signes ostensibles, c’est en réalité nous qui avons inventé la laïcité », jeudi 9 février, sur le plateau de l’Émission politique sur France 2

Capture d’écran 2017-03-19 à 17.47.37La rhétorique antirépublicaine ou pseudo pro-républicaine joue sur la confusion des ordres, entre loi, règle, coutume. Ainsi, l’extrême droite de Marine Le Pen se prétend laïque pour défendre un catholicisme qui serait essentiel à l’identité française, et elle s’en prend à la liberté des musulmans de pratiquer leur religion en paix.

La tradition relève des habitudes ou des normes sociales ordinaires dans tel ou tel pays à tel ou tel moment de son histoire, et pas d’un principe. La laïcité est un concept important en ce sens qu’il fonde la nation républicaine, nation qui intègre les différences ; supérieure à la nation ethnique ou identitaire. La nation n’est pas le groupe déterminé auquel on appartient mais l’unité à laquelle il faut vouloir participer. La République transcende les attaches par une unité collective à l’unité nationale.

4. L’identité de la France

Emmanuel Macron (En Marche) : « il n’y a d’ailleurs pas une culture française, il y a une culture en France, elle est diverse, elle est multiple », en meeting le 4 février à Lyon.

La « francité » de la France se lirait dans une combinaison de symboles, de récits historiques et sociaux, culturels, sportifs et économiques, teintés d’idéologie car trop figés pour ne pas être dogmatiques. Dans sa version marketing, l’identité de la France se nomme nation branding et vise à corréler image, perception et réputation au lieu de conception et/ou de production. Le problème est que ces récits fabriquent des raccourcis : par exemple, certains candidats s’autorisent sans distance à parler d’un « art français ».

Or, les mouvements artistiques développés en France sont en partie façonnés par des artistes originaires de différents pays et qui, à la rencontre de la France, ont exploré de nouvelles manières de travailler. Les beaux-arts ne peuvent être un fait national, seuls les ouvrages d’art peuvent l’être. Il serait dangereux de réduire la culture en France à une culture française AOC.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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