Législatives : internet est-il devenu le réel parlement du peuple ?

Selon les estimations, l’abstention devrait atteindre 57% ou 58% à 20h. L’Assemblée Nationale ne parait plus être le parlement populaire qui est, en principe, le coeur de la démocratie française ? Faut-il voir la vivacité de la démocratie sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de la Civic Tech ?

Dimanche dernier, La République en marche d’Emmanuel Macron est en effet arrivé en tête du scrutin du premier tour avec 32% des voix. Avec leurs alliés du Modem, les candidats de la majorité présidentielle se sont hissés en tête dans 437 circonscriptions. Ce qui laisse augurer d’une très large majorité à l’Assemblée.

Arrivée deuxième (21,5%), la droite traditionnelle (LR, héritage de l’UMP et du RPR) et le PS (11%) soufrent de la dynamique centriste En Marche. Avec 9,5% des voix au premier tour, La France insoumise espère être en mesure de constituer un groupe (ce qui requiert au moins quinze députés). Même objectif pour le Front national, avec ses 13,2%.L’abstention, supérieure à 50% au premier tour, pourrait à nouveau atteindre des records.

Ce soir, l’Assemblée sera certes plus féminisée et rajeunie. Elle fera place à la société civile, c’est à dire à des personnes qui sont en exercice et qui ont connaissance du monde du travail. Mais la majorité de Macron sera aussi plus « élitiste », étant donné qu’elle ne devrait accueillir plus de 90% de CSP+.


L’électeur et le troll

« Elitiste ». Ce terme, qui renvoie à la qualification des députés, est lui-même un noeud du problème. Un haut diplômé cadre supérieur appartient à l’élite, une personne qui a un parcours autre est relégué à appartenir à « la masse », ou, dit de manière plus politiquement correcte mais non moins méprisante, aux« milieux populaires ».

Ces citoyens de seconde classe, réduits à une faible représentativité parlementaire, seraient-ils condamnés à s’abstenir de voter pour se limiter à des commentaires au vitriol jetés sur Facebook ? Pour prendre conscience de la fracture éléctorale qui est entrain de se creuser en France, il suffit de se rendre au Mac Donalds place de la République. Ce fast food est un lieu de mixité sociale, surtout le matin à l’heure du café, et c’est pour cela que j’en fais un lieu de sondage privilégié. J’égraine la file d’attente en posant à chacun la même question : « allez-vous voter tout à l’heure ? ».

Sur une quinzaine d’individus interrogés, beaucoup de jeunes abstentionnistes, dont l’argument est presque toujours identique : « ils ne me représentent pas, ni moi, ni mes proches. Tous pourris ? Non, mais tous hors-sol, assurément. Ces jeunes en veulent pour preuve le difficile retour au réel des députés battus dès le premier tour, et qui a fait les choux gras de la presse.

Une partie de la population est donc persuadée que la délégation de pouvoir s’est muée en son usurpation. Elle estime que le suffrage universel qualifiant les représentants du peuple les a conduit à s’en éloigner et à se constituer comme une caste oligarchique qui confond sciemment gouverner et diriger.

Assistons-nous au retour du suffrage censitaire, sous une forme plus sournoise ?

A titre d’exemple, ce 18 juin, le taux de participation à 12h dans le département de la Gironde est de 16,52% contre 19,27% au premier tour. Du jamais vu sous la Vè République.

La puissance de la multitude, que tend à réaliser la démocratie, s’en trouve affaiblie. Dans de telles conditions, la nation ne peut se sentir soudée, c’est à dire, pour reprendre le propos de Rousseau dans le Contrat Social, conduite par une volonté unique grâce à laquelle la liberté de chacun est promue et garantie par celle de tous et l’égalité des droits, inscrite dans ses institutions.

Cela implique que si nation ne se sent pas soudée, il peut y avoir mille et une plates-formes de pétitions en ligne pour défendre les droits de tels ou tels groupes, ces droits ne seront pas défendus.

Internet, parlement du peuple ?

L’abstention élevée au premier tour des législatives pose la question de savoir si les usages des réseaux sociaux en ligne ont déplacé la vie politique ailleurs que dans les hululements de l’Assemblée et dans le silence des isoloirs. D’une part, les réseaux sociaux généralistes sont des places d’expression populaire libre. D’autre part, les plateformes civiques relevant de la « Civic Tech » sont des lieux où se « fait » la politique.

Le terme de Civic Tech recouvre la réalité d’une technique, qui est celle du dialogue politique en comité, et la réalité d’une technologie, à savoir celle de la plateforme web accessible depuis le mobile.

La Civic Tech était le thème du deuxième édition du rendez-vous #DigiLex qui a eu lieu, mercredi 31 mai, au Palais du Luxembourg, et dont Jérôme Sainte-Marie, sondeur et président de Polling Vox, était le grand témoin, a permis d’interroger le pouvoir de mobilisation des plateformes civiques sur le web.

Comme le souligne David Lacombled, cela fait dix ans que l’internet affecte le rapport qu’entretiennent les français à la politique, et plus exactement, au vote. Mais, poursuit le fondateur de La villa numeris, en 2007, le web était associé aux vidéos ; un quinquennat plus tard, ce sont les réseaux sociaux qui sont au centre. Pour les présidentielles de mai 2017, ce sont «  les datas ».

D’où la question : la Civic Tech permet-elle de mieux rassembler les citoyens autour des enjeux politiques qui les concernent ou au contraire, nous égare t-elle tous en nous laissant penser que la démocratie des plateformes peut remplacer l’Assemblée des élus ? La démocratie dite « participative » peut-elle se substituer à la démocratie représentative ?

La Civic Tech vise à promouvoir la démocratie directe dans tous ses aspects. Echange direct entre citoyens et candidats, à l’instar du forum Questionnez vos candidats ; consultation, à l’image du réseau social citoyen et local Fluicity, implication, avec DemocracyOS, plateforme destinée à impliquer les citoyens dans la construction de la loi ; mobilisation, à l’instar de We The People, initiée par la Maison Blanche. Dès que 100 000 signatures sont atteintes, elle s’engage à un retour sous un mois. Le droit d’adresser des pétitions au gouvernement est, en effet, inscrit dans le premier amendement de la constitution américaine. En France, cette pratique est récente.

Élaboration des lois

Mais, comme l’a souligné le sénateur Jérôme Bignon à l’occasion de la rencontre pilotée par La Villa Numéris. « En France, on a des corps intermédiaires» explique le sénateur de la Somme Jérôme Bignon. Les modes institutionnels de pression comme les syndicats ou le patronat  sont bien présents et à considérer. « Ils sont nécessaires. » confirme le sondeur et fondateur de Polling Vox, Jérôme Sainte-Marie qui considère que «  pour ne pas être dans une société autoritaire avec un chef et des individus, il faut des corps intermédiaires. » Il s’interroge toutefois  sur l’existence « des pouvoirs constitués en dehors du sommet de l’Etat ».

Le sénateur Jérôme Bignon, légitimant la tâche qui incombe aux corps intermédiaires compétents, a cru utile de rappeler que « l’élaboration des loi » n’était « pas un travail de Mickey ».

De surcroît, le rôle des législateurs, ces corps intermédiaires, est de rendre intelligible à tous l’élaboration des lois, ce que ne fait pas la Civic Tech du fait de la « la fracture entre les citoyens pour les civic tech notamment en zone rurale ». Cette fracture concerne à la fois les « équipements et les usages », a éclairé David Lacombled, faisant écho au code social des réseaux, spécifique, qui nécessite un apprentissage. Les risques de « décrochage et de tension » sont nombreux en raison de la forte considération des marques pour les citoyens « grâce à la data » a encore averti le fondateur de la Villa Numeris. « Ces derniers ne se sentent pas traités par les pouvoirs publics ou par leurs entreprises de la même manière. »

A moins qu’un accord, ou plutôt un raccord, soit en train de s’établir entre citoyenneté en ligne et citoyenneté dans les urnes : les deux révélations de 2017, « En Marche » et « La France Insoumise », ont maîtrisé les différentes technologies prises en main par les citoyens à des fins de mobilisation. Pour le sondeur Jérôme Sainte-Marie, ces deux formations politiques récentes ont eu recours à des plateformes et à une mobilisation de terrain très importante. « Avec internet, tous les éléments de collectif de l’individu ont été réactivés. »  

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A lire : « Internet, nouveau parlement du peuple ?« , compte rendu de #DigiLex établi par La Villa Numeris.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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