Facebook en prison : un parloir au bout du smartphone

Actualisé le 26 août 2017 :

En visite au centre pénitentiaire de La Farlede, près de Toulon, la ministre de la Justice Nicole Belloubet ne s’est pas opposée sur le principe d’autoriser les téléphones portables en prison. La proposition avait été faite cet été par Adeline Hazan, contrôleure générale des privations de liberté. Elle s’appuie sur un chiffre : quelque 33 000 portables ont été saisis dans les prisons françaises.

ENQUÊTE SUR L’USAGE DES MÉDIAS SOCIAUX EN LIEU DE DÉTENTION

Ce qui est le plus choquant pour l’oeil libre, ce ne sont pas les murs qui tiennent l’horizon cassé du ciel, mais cette parade permanente des barreaux. En prison, les fenêtres n’ouvrent pas vraiment sur dehors, si ce n’est celles qui donnent sur les murs Facebook des détenus ou de leurs proches.

Officiellement, l’usage privé d’internet est interdit en maison d’arrêt, mais certains détenus, qui se sont silencieusement fait parvenir un smartphone au parloir, sont connectés tous les jours. Un moyen indispensable pour recréer un dialogue quotidien avec l’extérieur, mais qui ne permet pas de communiquer sur l’essentiel. 

 

« Lui, il est en ligne, alors qu’il est en cellule »

Driss*, un grand garçon de 23 ans, palpe son maigre smartphone Samsung noir dans le creux de sa paume. L’écran n’est pas moins explosé qu’une vitrine après un impact de balles. Comme Driss, le téléphone a tenu le choc. Il a purgé sa peine de 9 mois fermes à l’Elsau, du nom donné habituellement à la maison d’arrêt de Strasbourg. La 4G a même l’air de bien fonctionner. Direction Facebook.

img_6042« Lui, il est connecté, alors qu’il est en cellule », me fait observer cet ancien détenu qui a quitté les petits trafics pour un emploi licite en maçonnerie. « Lui », c’est Anthony, son ancien co-détenu. Auprès de Driss, Anthony* demande régulièrement des nouvelles du quartier, évoque avec lui des lieux où ils allaient enfants : la boulangerie, le collège, le stade. Le ton du dialogue sur Messenger est si bon enfant que l’on pourrait croire à une retrouvaille sur Copains d’Avant. Mais rapidement, le dialogue est écroué : « Est-ce qu’elle m’a attendu, ou elle me ment ? Si tu sais quelque-chose, dis le moi. » ; « Tu crois que je vais retrouver du taf ? Quel patron voudra d’un ex-taulard de 24 ans ? Y a pas une touche marche-arrière ? « .

Dehors, ces prévenus et détenus qui ont souvent moins de 30 ans se sont socialisés avec les réseaux sociaux. En prison, ils activent l’appli Facebook pour rompre l’isolement et refaire leur monde à la mesure de leurs jours.

Renouer avec une parole quotidienne est indispensable lorsqu’on est en situation d’enfermement. En refaisant mentalement ces chemins quotidiens, en revoyant ces visages, la mémoire se remet en marche. « Salut, oui, ça va, et maman ? ». Smiley. Chapelet de noms propres, de noms à soi évadés d’un monde clos où rien n’est anonyme : le dialogue sur Facebook, qu’il s’établisse via Messenger ou en forme de commentaires sous des posts, fait vivre tous ces mots-miniatures qui façonnent la vie de tous les jours.

prison
Photo : détenus en cellule, via Facebook. document remis. Copyright Intégrales. (CS)

Déstresser 

La maison d’arrêt de Strasbourg est un établissement pénitentiaire calibré pour 444 personnes, dans lequel s’entassent effectivement plus de 700 détenus. Les personnes condamnées à des peines de moins de deux ans croisent les prévenus. La tension est permanente. Pour l’avocat Éric Lefebvre « les surveillants savent très bien que les téléphones portables permettent aux détenus de tenir, de déstresser. D’un côté, ils vont dire que ça leur évite d’avoir à gérer des situations monstrueuses, et d’un autre, quand ils ont quelqu’un dans le collimateur, ils le font passer en commission de discipline pour détention de téléphone. » (propos rapporté par Rue89 Strasbourg).

« On l’utilise aussi entre-nous, de cellule en cellule« , indique Driss, Pour s’envoyer des photos de nos cellules, des selfies« . Selfies devant un mur humide, astuces pour rafistoler un robinet qui fuit, palabres pour calmer une embrouille … « L’illicite ? Pas par Facebook, on sait jamais« , m’arrête le garçon. Les surveillants pourraient, soupçonne t-il, pirater les comptes et faire chanter leurs propriétaires. « Facebook, c’est pour décompresser ».

Sur les murs de détenus, beaucoup de contenus à « buzz » destiné à faire rire. Des animaux, des voitures, des citations grandiloquentes de rappeurs recyclés en maîtres à penser, des résultats de football. Bref, rien d’anxiogène.

Eviter les sorties sèches 

Facebook permet aussi aux détenus de garder le contact avec ceux qui, espèrent-ils, les accueilleront avec mansuétude à leur sortie. « Le jour où la porte s’ouvrira, j’aimerai que les miens soient là. Si on se parle sur Facebook, je suis sûr qu’ils ne pensent pas que je suis mort, que je n’existerai plus jamais« , confie Bayan*, un détenu de 22 ans. Echanger sur le réseau social est une manière de remettre le pied à l’étrier afin de s’éviter une sortie sèche, c’est à dire brutale, mal préparée.

Utile pour trouver du travail avant la sortie ? Aucune enquête ne prouve pour l’instant un lien de corrélation entre l’usage des réseaux sociaux en prison et la réinsertion, étant donné qu’officiellement, internet n’est pas accessible aux détenus. Il est certain cependant que le fait de pouvoir continuer à se socialiser par le biais de ces plateformes est un élément susceptible de favoriser chez les détenus les moins fragiles psychologiquement la motivation à rechercher un emploi une fois leur peine purgée.

Bayan « poste » et « partage » peu de contenus. Il préfère surtout utiliser Messenger et lire ce que ses « amis » ont publié depuis leur « mur ». C’est là où le réseau social, du fait qu’il permette au détenu de suivre ce qu’il se passe parmi ses proches en temps direct et continu, constitue un apport par rapport au courrier écrit, épisodique, sporadique et qui n’intéresse que le locuteur et un interlocuteur. « On est au courant tout de suite, s’il y a une naissance dans la famille, un pote qui tombe, ou autre chose, on voit aussi ce que les autres en pensent », explique Driss.

Facebook, simple parloir

« Suivre« , seulement. Se tenir au courant, ne pas être dépassé.  Mais, « On ne parle pas tant que ça, en fait. On dit des mots, des mots comme ça« , admet Bayan en balayant de la main l’écran de son smartphone. Parce qu’ils se savent sous surveillance, les mots ne parviennent pas à décrire la réalité sociale de la prison. Ils sont des signes qui expriment des habitudes et des formules de politesse indispensables pour se sentir appartenir au monde en dépit de l’isolement, mais qui n’accèdent pas à l’essentiel.

Les « posts » à buzz, les messages rédigés en argot que seuls les initiés sont à même de comprendre, les citations issues de la sagesse populaire : Facebook fait circuler un discours qui s’incarcère plus qu’il ne s’incarne. Les mots sont en prison en même temps que les humains qui les alignent en alphabet T9.

Facebook reste un parloir de permanence, soit, par métaphore, un lieu intrinsèque à l’univers carcéral. En prison, même Facebook appartient aux murs de la prison.

*Les prénoms ont été modifiés. 

The following two tabs change content below.
Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

Vous pouvez également lire