Eduardo Martins, faussaire de guerre

Dans une enquête publiée samedi, la «BBC Brasil» révèle qu’Eduardo Martins, un beau reporter dont le portrait a été relayé par de nombreux médias, n’a en fait jamais existé. Retour sur un phénomène d’escroquerie qui s’est développé avec les réseaux sociaux.

« Sur internet, personne ne sait que vous êtes un chien », prévient le dicton.

Les réseaux sociaux et le site du photographe ont joué un rôle dans la fabrication du faussaire son personnage et ont servi d’outil à fabriquer la confiance des médias.

Pendant 3 ans, « Eduardo Martins », nom d’emprunt (?), s’est fait passer pour un photographe reporter de guerre affilié aux Nations-Unies. Il est parvenu à asseoir sa notoriété en dupant les médias de plusieurs pays, dont Al Jazeera, the Wall Street Journal, BBC, Le Monde, The Telegraph, Vice, Deutsche Welle, BBC Brasil ou encore sur les banques d’images Getty et l’agence Nurphoto. Eduardo Martins entretenait sa crédibilité de photoreporter via un compte Instagram, qui comptait 120,000 followers. Parmi ses abonnés on retrouvait des photographes renommés ou encore le compte des Nations Unies. 

Story telling

Le récit biographique qu’il a construit de toutes pièces est un roman typique du story telling réseaux sociaux : le sort s’accable sur un nouveau né. L’enfant parvient à contrarier le destin, donne toutes ses forces et parvient à surpasser ses pairs en excellant dans une activité exceptionnelle. « Eduardo Martins » s’est donné naissance Sao Paulo en 1985, il a raconté qu’il était atteint de leucémie depuis l’âge de 25 ans, maladie à laquelle il aurait survécu par miracle ce qui lui donnait, d’après ses récits, la force d’aller photographier sur le terrain des scènes de guerre, là où personne ne voulait plus aller. Pour ses images de profil Instagram, il a usurpé les photos Instagram du surfeur Max Hepworth-Povey sans que personne ne le remarque. Le bellâtre plaît sur tous les tableaux.

Comme le montrent ses prises de vue publiées sur Instragram, « Eduardo Martins » prétendait s’être rendu sur les terrains des conflits les plus chauds du globe : la bande de Gaza, la Syrie, l’Irak. Il a également donné des interviews à différents médias sur ses pseudo travaux.  . Fernando Costa Netto, photographe et reporter brésilien pour le site de surf Waves, avait fait une interview sur Martins dans lequel il soulignait son « talent exceptionnel ». Hagiographie pétrie de poison : le photographe Ignacio Aronovich originaire de Sao Paulo n’avait jamais entendu parler d’Eduardo Martins mais, curieux, il lit l’article de Fernando Costa Netto. Il note dans une série de photos prises par Eduardo où apparaissent d’autres photographes que le déclencheur de l’appareil est à gauche alors que sur tous les modèles disponibles sur le marché le bouton se situe à droite.

Quelles sommes l’escroc a t-il a perçues avec l’ensemble des photographies vendues aux différents médias et banques d’images ? Les images semblent avoir été vendues à 575 dollars l’unité sur Getty Images, estime le site SBS Portuguese, les autres médias ne préférant pas se prononcer sur les sommes perçues. Vice News et BBC Brazil affirment ne pas avoir payé pour utiliser les images.
L’agence NurPhoto, pour sa part, a déposé une plainte en droit pénal à la police italienne contre l’individu sévissant sous le nom d’Eduardo Martins.

A travers les goutes des algorithmes

Les médias et agences de photographies ont recoupé l’ensemble des profils de Martins. Tout semblait cohérent. L’existence d’un site officiel éponyme semblait apporter des garanties sur le statut réel et les travaux effectifs du dit photographe. En réalité, le « site officiel » n’était qu’un support supplémentaire pour mener à bien l’entreprise d’escroquerie du pseudo-photographe.

En dépit de la traçabilité croissante de nos données sur internet et de la surveillance constante des utilisateurs via les programmes informatiques mis en place par Facebook, Google et les autres géants du net, les montages aussi grossiers sont possibles. Il est possible de « passer pour ». Le personnage du faussaire passe à travers les goutes des algorithmes et des programmes de recommandation.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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