Macron et la presse : la fin de la transparence

La présidence de la République a fait savoir, par l’intermédiaire de Sibeth Ndiaye, conseillère de communication d’Emmanuel Macron, que la salle de presse à l’intérieur de l’Elysée déménagerait d’ici l’été dans une annexe hors du Palais. Comment tenter d’expliquer ce choix qui rompt avec un désir de communication dans la transparence des chefs d’Etat français depuis 40 ans ?

Depuis quarante ans, les médias accrédités par la présidence jouissaient d’un accès à une salle de presse donnant sur la cour de l’Elysée à certaines occasions (Conseils des ministres, réceptions de dirigeants étrangers…). Les agences de presse à l’instar de l’AFP y avaient d’ailleurs accès en permanence, note la journaliste Laurence Benhamou dans une dépêche AFP datée du 14 février.

Interrogé mardi soir à l’occasion d’une rencontre avec l’Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron avait évoqué un projet immobilier global rendu nécessaire selon lui par des recommandations de la Cour de Comptes, rapporte ce mercredi 14 février le quotidien Libération.

« La présidence a décidé d’un déménagement de la salle de presse» dans une annexe située rue de l’Elysée, « afin d’augmenter sa taille », a justifié Sibeth Ndiaye mercredi auprès de journalistes. Cette décision a été prise « pour une raison fonctionnelle », l’Élysée souhaitant également « élargir le champ des accréditations permanentes », a complété la conseillère communication de l’Elysée.

Il est probable que Macron profite de ce moment opportun pour exaucer un souhait qu’il n’avait pas tu dès le début de sa mandature : tenir les journalistes hors du Palais. Ainsi, ces derniers ne seraient pas en permanence tenus informés des visiteurs du président de la République.

Ni caméra ni tweets

La salle de presse de l’Elysée avait été installée dans l’enceinte du Palais sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et, en 1984, François Mitterrand, dans un souci de plus grande transparence encore, l’avait déplacée sur la cour d’honneur. Mais Macron n’est certainement pas le président de la transparence avec la presse.

Hier soir, le président de la République s’est entretenu pendant près de deux heures avec une centaine de journalistes conviés par l’Association de la Presse Présidentielle. Une véritable conférence ex-cathedra, avec questions de l’auditoire. La règle : pas une caméra, pas un tweet en direct. La relation qu’impose Macron aux journalistes tranche avec celle que son prédécesseur, François Hollande, privilégiait.

Ni vidéophère, ni sociosphère : Giscard et Mitterrand avaient accepté de couler leur effort de communication sur les moules encore frais qu’étaient l’image et la vidéo, Macron, lui, refuse non seulement les contraintes du passé proche, mais aussi celles du temps actuel. Il sait qu’un journaliste présent dans l’enceinte du Palais, c’est un tweet possible qui échappe à son contrôle, une suite prévisible de commentaires et de rumeurs difficiles à éteindre.

La transparence, culture du secret

Mitterrand était prêt à davantage de « transparence » dans la mesure où il pouvait lui-même presque entièrement maîtriser le degré de transparence qu’il voulait bien offrir aux citoyens via le truchement de la presse. Cette transparence officielle était un effet de lumière, un artifice pleinement intégré à la stratégie de communication de l’exécutif.

A cet égard, le « secret », cette zone de parole qui paraît lumineuse à celui qui a le droit d’y pénétrer et qui permet à l’émetteur de protéger à l’ombre ce qu’il veut ne pas dire, n’est-il pas une modalité du discours diplomatique et politique ? En un sens, l’on peut dire que la transparence participe de la culture du secret, et qu’Emmanuel Macron, en y renonçant, cherche à dépasser cet âge de la communication politique.

L’ancien ministre de François Hollande – celui qui voulait de lui-même ne rien cacher, n’a pas pour sa part l’intention de laisser traîner une caméra sur les tapis de son bureau ni d’envoyer dix Snaps par jour. Il a conscience que la transparence à l’heure des réseaux sociaux ne peut être qu’illimitée et infinie. Elle ne peut donc effectivement que lui échapper entièrement.

Par souci de s’assurer que la communication qu’il mène dans le but de légitimer ses options politiques auprès du peuple français soit portée par la presse – et se répercute en conséquence dans l’opinion à un degré plus haut que les tweets émis ou inspirés par les journalistes en charge de couvrir l’Elysée, Emmanuel Macron tient à distancer les journalistes, qui pour la plupart entretiennent un compte Twitter à leur nom, de la Cour d’honneur de l’Elysée, lieu de passages et carrefour de confidences.

Twitter véhiculerait les informations produites par les journalistes ou par des relais à bien plus grande vitesse que tout acte de communication présidentielle ; si bien que les réseaux sociaux mettent rapidement et abondamment les Français au courant des rumeurs, alors même que les finalités et les modalités des réforme en cours les atteindraient moins vite.

Macron estime que la situation de la salle de presse au centre névralgique du pouvoir exécutif ne peut qu’augmenter rumeurs et « fuites » de faits qu’il n’a pas envie de rapporter aux Français, ou bien auxquels il entend donner un écho moindre dans l’opinion.

Limitation de l’exercice d’un pouvoir démocratique

Il semble que le premier président de la Vème République « natif du numérique » admette une antinomie entre communication et transparence. D’où le fait qu’il prenne unilatéralement des décisions qui apparaissent aux yeux des intéressés comme des obstructions.

Vêtu d’un costume pompidolien, Emmanuel Macron risque de réduire le rôle de la presse dans son pouvoir de délivrer une information permanente et indépendante au sujet de ce qui se passe au Château.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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