Expo Pierre-Marc de Biasi à Strasbourg : l’aquagravure comme médium

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EXPOSITION

Du 15/06/2018 au 13/07/2018
À L’Estampe – Strasbourg

Son prénom semble le signaler : le signe est une orientation centrale chez Pierre-Marc de Biasi, artiste plasticien reconnu pour ses nombreux travaux sur l’archéologie des écritures, la matérialité de l’inscription, la trace et la mémoire. Son exposition à la galerie L’Estampe à Strasbourg présente, dans la ville de Gutenberg, un ensemble de nouvelles réalisations sur la thématique du « signe » en redonnant au papier tout son sens. Aux yeux du visiteur de s’élancer dans les sillons de codages énigmatiques.

Aquagravure

Intitulée « Métamorphoses du signe », l’exposition s’est fixé deux grandes orientations : l’exploration d’un processus de création ayant le « signe » comme objet de représentation et l’aquagravure comme médium, en donnant tout son sens au fait que l’événement a lieu dans une galerie sytasbourgeoise qui s’est rendue célèbre pour ses importantes contributions dans le développement de cette technique originale : il s’agit de suivre les étapes d’une démarche allant de l’élaboration d’œuvres en relief, à leur démultiplication sous la forme d’aquagravures, explique le plasticien.

Cette technique artisanale, peu connue du grand public car jamais mise au jour dans les espaces culturels, redonne vie au « papier à la cuve » et permet de tirer une série limitée d’estampages de l’œuvre qui sont sa réplique en trois dimensions sur papier blanc. Elle permet aussi de donner naissance à des exemplaires originaux en couleur, travaillés à la main par l’artiste, qui se présentent non comme de simples reproductions, mais comme de véritables interprétations variantes du modèle, des aquagravures uniques.

Retraçons le processus : une fois les œuvres réalisées, chaque plaque sculptée est moulée et donne naissance à un double négatif en matière souple qui permettra, sous la presse, de créer une gravure originale respectant à l’identique les formes et les détails de la matrice.

Tout commence par l’ouvrage de la pâte, une solution d’eau et de fibres délayée à la main. La seconde opération est celle du puisage au tamis d’une couche de fibres, épaisse et généreuse, et la troisième étape est le couchage : la couche de fibres est renversée sur des feutres qui permettent de la déplacer et de l’installer sous la presse, au contact du moule souple qui va « graver » en elle les formes de l’œuvre. Arrive alors la phase doublement cruciale du pressage.

Ecrasée par la presse, la couche de fibres encore gorgée d’eau va perdre, d’un coup, les neuf-dixièmes de son épaisseur, et se transformer en feuille, solide et résistante, par la formation, en quelques secondes, au cœur de sa structure, de milliards de ponts hydrogène : les liens chimiques qui vont rendre solidaires ses fibrilles de cellulose. Mais c’est également à ce moment précis que la feuille, en pleine fibrillation, se trouve formée par le moule qui imprime en elle ses reliefs et ses dépressions.


Codage pictographique archaïque

Décoder n’est pas spoiler. Le codage pictographique archaïque restera hermétique si non expliqué.

Les Ecritures des confins (EC n°1, 2, 3 et 4) développent des représentations liées à un codage pictographique archaïque.

 » Tu réjouis les heures et les jours qui passent,
comme si tu étais un sourire sur les lèvres du Temps », dit le texte : pour la série CSLT des Hommages à Al-Mutanabbi, explique Pierre-Marc de Biasi, la matrice sculptée est réalisée à l’aide d’un pochoir qui reproduit fidèlement les arabesques de l’antique manuscrit arabe ayant servi de modèle à l’artiste. Enfin, pour la série S des Stries, c’est à l’aide d’un peigne d’acier spécialement confectionné pour cet usage que la forme capricieuse des sillons parallèles est imprimée au cœur de la matière.

Les Stries (S), inspirées de l’esthétique japonaise, sont fondées sur une expression minimaliste du signe, pensé comme actualisation d’un tracé purement physique, commandé par le souffle.

A travers une série de pièces récentes (2017-2018), créées spécialement pour la circonstance, et quelques œuvres anciennes qui dialoguent avec ces nouvelles propositions, l’exposition s’est donné pour but de mettre en scène la logique du processus qui a présidé à leur conception et à leur réalisation.

La série ES (L’Empire du signe), souvent associée à la structure du tondo, est fondée sur une écriture multidirectionnelle en damier (dite « cruciforme delta ») qui cherche à reconstituer les textes primitifs d’une civilisation plus archaïque que celle de Sumer, mais postérieure au linéaire alpha. Le cruciforme delta, indéchiffrable, encode les rares messages provenant d’une civilisation disparue, l’ère Q, du nom de la « Princesse Q » qui pourrait avoir régné sur un vaste empire allant de la Syrie à l’Egypte, vers le début du quatrième millénaire : des textes qui nous disent la vie et les rêves de l’humanité à une époque où l’on vivait plus de trois cents ans et où les animaux savaient encore parler.

Réalisées en matière minérale, avec des reliefs et des tracés en creux qui peuvent atteindre des profondeurs de 5 à 10 mm, ces œuvres vont jouer le rôle de matrice pour les aquagravures. Les ciments dont elles sont composées intègrent des sables fins, des terres rouges et des poussières ocre qui ont été recueillis par l’artiste sur place, dans le désert de Syrie et en Israël, notamment sur les bords de la Mer Morte et dans la région de Massada.

A travers toutes ces oeuvres, la démarche originale de l’artiste consiste à imprimer le signe dans la matière. L’exécution graphique proprement dite repose sur la mise en œuvre d’un code, déchiffrable ou non, qui permet de composer le message à la fois du point de vue plastique et du point de vue sémantique.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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