Droit voisin pour la presse : un espoir pour les médias indépendants

Après « Ebdo » et « Vraiment », publications papier qui n’ont pas vécu un an, les jeunes déclinaisons françaises de Mashable et de BuzzFeed ont cesser de paraître sur internet. D’autres publications indépendantes encore bourgeonnantes ont cessé de paraître. Septembre 2018 a des airs d’automne des médias. Peut-on encore se lancer en France dans la création d’un média indépendant en 2018 ? la réforme de la directive sur le droit d’auteur en faveur d’un droit voisin pour la presse, qui vient d’être votée au Parlement européen, permettra t-elle d’améliorer la situation de la presse ?

Dans Rédactions en invention, le sociologue Jean-Marie Charon signalait que : « l’information de flux, consistant à produire rapidement des nouvelles sans analyse ni perspective, n’a plus d’avenir, si ce n’est pour des médias bénéficiant déjà d’une audience massive. » Si les grands titres nationaux et régionaux s’en sortent, les autres sont confrontés à un défi : monétiser auprès des publics une information « qui se démarquera, se distinguera de celle, redondante, partout disponible ». Dans un contexte où la presse est pillée par les plates-formes et les agrégateurs depuis presque 20 ans, cette exigence éditoriale suffit-elle à assoir un modèle économique ?

Dans Rédactions en invention, Jean-Marie Charon constate avec lucidité que les rédactions « ont du mal à définir et expliciter les critères » d’une information à valeur ajoutée, seule susceptible de déclencher l’acte d’achat », d’où l’instabilité de ce nouveau paysage médiatique. Tour d’horizon de 4 types de jeunes médias qui ont du cesser de paraître ou qui sont en difficulté.

1. Les déclinaisons française de pure-players américains d’information

Après Buzzfeed France, dont l’annonce de la fermeture a résonné comme un coup de massue dans le paysage médiatique hexagonal, c’est autour de Mashable France de jeter l’éponge. Les salariés se sont vu signifier l’arrêt du site, qui devrait cesser d’être alimenté vers la mi-septembre. Les CDD en fin de contrat n’ont pas été reconduits. Quant aux quatre journalistes en CDI, ils devraient recevoir des propositions de postes au sein du groupe France Médias Monde. Mashable France est en effet né en 2016 d’un partenariat avec le groupe audiovisuel public.
Interrogé par Les Echos, France Médias Monde explique «ne plus être en phase» avec «le changement de cap» de Mashable depuis son rachat par FMM en 2017.


2. Les jeunes pousses locales

Des pure-players qui témoignaient de la créativité bouillonnante de jeunes médias indépendants disparaissent eux aussi.

« L’imprévu est le média qui remet l’info en contexte. Tous nos articles sont en accès libre et sans pub. Votre contribution nous permet de poursuivre cette démarche. », lit-on encore sur le site du pure-player. En mars, afin de donner un nouvel élan à l’Imprévu, l’équipe de la rédaction a opté pour un modèle basé sur le « membership ». Alors que les articles étaient cachés derrière un accès payant, ils ont été laissés en consultation libre. Les lecteurs-membres payaient la contribution qu’ils souhaitent, à partir de 3 euros par mois, pour soutenir le média et en échange d’un lien privilégié avec la rédaction et de formations (vérifier une image, communiquer de manière sécurisée, etc.).

Ce nouveau modèle de financement des médias, alternatif à l’abonnement traditionnel, et basé sur le « membership » (« l’adhésion »), est soutenu par le Membership Puzzle Project de l’université de New York. Il a été mis en place par des sites américains comme The Intercept, lancé par le journaliste Glenn Greenwald, ou le Honolulu Civil Beat, un site hawaien. Malgré ce virage, l’Imprévu a du cesser sa production éditoriale depuis le 4 juin 2018 et se recentrer sur un autre segment de son offre, la formation.

4 ans après son lancement, le 3 mars 2014, l’équipe de 8e étage a annoncé sur son site le 11 septembre 2018 l’arrêt de la publication. 8e étage était financé uniquement par ses abonnés, qui représentaient 1200 soutiens mensuels sur 50 000 lecteurs.Le média collaborait avec 150 journalistes et a publié une centaine de grands reportages, 230 dessins de presse, 90 chroniques et 72 podcasts.

3. La publication engagée

Le Média, organe proche de la France Insoumise en terme de ligne éditoriale, a crée une communauté de « Sociaux » issus du vivier politique de divers courants de gauche. Mais, des difficultés de gestion sur fond de dissensions personnelles envenime Le Media. Aude Lancelin, qui a repris les rennes du média, a précisé que Le Média allait aussi se spécialiser dans la critique du traitement médiatique de l’actualité. Or, cette orientation ne convient pas à certains journalistes. Dans leur communiqué, les quatre qui dénonçaient une intimidation estiment que ces nouvelles orientations sont « en rupture avec le projet initial ». Pourtant, ce choix paraît raisonnable au regard de l’exigence de rationaliser les coûts de production. En effet, le JT du Média était un gouffre financier.

4. Les Anciens qui lancent leur marque média

Pour atteindre la barre des 35 000 abonnés, synonyme d’équilibre financier, Explicite, le site des anciens d’iTélé qui compte 15 journalistes, a lancé une offre d’abonnement à 7,99 euros par mois, soit une baisse de 3 euros par rapport à la formule précédente. Le site d’information n’a attiré que 1200 abonnés depuis son lancement mais espère fidéliser des internautes par vagues.

Alors, quand on sait que l’implication financière d’un bassin de lecteurs ne donne pas la garantie à un média de renforcer ou de diversifier l’organisation de sa production et en conséquence, son offre, faut-il renoncer à créer de nouvelles structures médiatiques ou continuer de lancer des projets en acceptant de se réinventer constamment ? Pour L’Imprévu, Explicite, Le Media, ou encore AOC, qui vient de lancer une offre d’abonnement annuel à 120 euros couplé à une offre cinéma de la cinétek, la réponse est claire : perséverer.

Pas de création sans rémunération

La réforme européenne de la directive sur les droits d’auteur, et plus particulièrement l’article 11 relatif aux droits voisins, qui vient d’être votée ce 12 septembre 2018, donne voix aux créateurs de contenus qui veulent être rétribués justement par les géants du net. « Avec l’article 11, on instaure un droit qui donne à la presse la possibilité d’entamer, avec une base juridique, des négociations avec les plates-formes et les agrégateurs. Si le texte est adopté, la discussion va continuer sous la forme de ce qu’on appelle le « trilogue », c’est-à-dire la négociation entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen. », détaille à cet égard l’eurodéputé centriste Jean-Marie Cavada.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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