Covid Kremlin épisode 1 : « Un jeu de cache-cache »

INTEGRALE PUBLIE SA PREMIÈRE SERIE SUR LES MÉDIAS DU MONDE

La couverture médiatique du Covid-19 en Russie, un jeu de cache-cache dans la forêt de l’opinion publique.

Premier épisode : Un jeu de cache-cache

Par David Krasovec, Maître de conférences à l’Académie présidentielle de Russie, Moscou

Il y a le ton de circonstance, et il y a la lame de fond. Le ton de circonstance, c’est la mobilisation contre le coronavirus. La lame de fond, c’est la bataille pour contenir l’humeur de l’opinion publique. Entre les deux, il y a les médias russes qui essaient de trouver leur place et de reprendre la main.

Les médias francophones ont bien couvert certains aspects de la gestion sanitaire, qu’il s’agisse des efforts ou des manquements, ils rendent mal compte des coulisses. Il faut dire que les acteurs médicaux exposés esquivent les questions des journalistes, et les médias eux-mêmes ont conçu d’autres moyens de collecter l’information.

D’abord discrètement, fin avril, puis un peu plus fort en mai, un groupement de médias russes indépendants lance l’appel du Syndicat-100 * pour aider les médecins à s’exprimer sur le manque de protections face au coronavirus en province. Ils mettent en ligne un questionnaire pour le corps médical, à l’anonymat garanti, qui servira à lancer des investigations.

Non pour rechercher le sensationnel ou le scandale, précise l’appel, mais pour attirer l’attention sur les problèmes auxquels font face même les gouvernements occidentaux, et aider à trouver une solution locale. Quitte à le faire par des canaux parallèles, c’est-à-dire que les médias veulent mettre en branle leurs réseaux d’influence sans même publier d’articles ou reportages qui pourraient porter préjudice à ceux qui témoignent. Cela soulève deux questions : du journalisme sans publication aucune, ni écrite ni visuelle, est-ce encore du journalisme ? Et en voulant jouer leur rôle dans la société civile, comment les journalistes délimitent-ils champ médiatique et action citoyenne ?

Car d’un côté ils lient les deux en s’engageant professionnellement et individuellement ; mais d’un autre côté ils délaissent le champ médiatique, certes pour éviter des poursuites, ils utilisent les technologies des médias juste pour informer de leur existence, mais non pour informer.

Cette curieuse mise en abîme ne relève pas de l’autocensure et ce n’est pas un réflexe de voix dissidente, c’est un aveu involontaire de la confusion qui règne actuellement dans les médias russes. Confusion dynamique au demeurant, elle ne trahit pas une absence de stratégie ou un manque de repères, mais un emballement vers l’inconnu dont nul ne peut prévoir l’issue, tant les expériences sont nombreuses et les acteurs discrets bien dissimulés.

C’est peut-être plus un symptôme qu’un hasard si l’émission télé de divertissement la plus populaire en ce moment est Masque…

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David Krasovec

David Krasovec

David Krasovec, Maître de conférences à l’Académie présidentielle de Russie à Moscou, est correspondant d’Intégrale en Russie

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