France, l’été caniculaire – épisode 2

Avoir 20 ans en post-confinement

1. Distorsion scalaire : hypertrophie de l’espace privé clos à échelle globale 

Tout me monde peut mourir du Covid19, d’où qu’il soit, quel que soit son âge. Cette communauté de destin avec la jeunesse du monde entier, la jeunesse des générations précédentes ne l’a pas vécue (les « boomers » étaient issus des pays industrialisés du bloc de l’Ouest). La distorsion scalaire de l’espace de crise est inédite. Au « penser global, agir local », la crise a substitué un abrupt : « tout le monde est chez soi ». Des toits plats de la Casbah d’Alger au balconnet parisien, le confinement concerne plus de la moitié de la planète. Les réseaux sociaux abondent d’images d’enfants et de jeunes du monde entier qui vivent à leur manière le confinement. Cet emboitement crée une sensation encore plus oppressante d’enfermement.

2. Platitude d’un monde en ligne

Les télécommunications à des fins personnelles ou professionnelles ont lieu presque exclusivement en ligne. Cela met au jour les inégalités en terme d’équipement mais aussi de maîtrise du numérique. En se prenant en selfie confinés chez aux, les adolescents de la planète ont crée en quelques semaines un état de transparence totale. Les inégalités matérielles à échelle planétaire sont exposées à tous. Le Coronavirus enfante la première génération de jeunes qui n’entretiennent plus l’illusion du lointain (rêve américain ou européen, stéréotypes fantasmagoriques des pays chauds). Pour les jeunes, le monde n’est plus le terrain escarpé des aventures possibles mais une surface plane où tout le monde est identique, masqué, confiné., quand bien même les mesures de quarantaine collective sont levées par les gouvernements.

Sous confinement et post-confinement, le monde est sans confins. Sur les réseaux sociaux, les discours eschatologiques de fin du monde s’insèrent dans ce paysage mental collectif désolé.

3. Violence virtuelle

Avec le confinement, les enfants ont été témoins ou victimes des violences domestiques, et dans le meilleur des cas, ils subissent les discussions et règlements de compte stériles des adultes configurés « en couple », cela sans échappatoire possible.
– De plus, la fréquentation intense des messageries en ligne exacerbe les comportements agressifs : la conversation asynchrone en ligne est donc un terrain dangereux du point de vue interactionnel. Le temps différé alimente l’aspect agressif des échanges polémiques et rend plus difficile la tentative d’arriver à un consensus. Le cyber-harcelement est patent en période de pandémie. Les jeunes, qui possèdent des terminaux numériques, sont ainsi partie prenante d’une nouvelle forme de violence sociale continue.

En conséquence, il me semble qu’il sera important de renforcer les dispositifs culturels sur les territoires pour réduire l’érosion que creuse sur les jeunes esprits de condition modeste la pauvreté des biens et des liens. Les lieux publics d’émancipation populaire des enfants et adolescents auront un rôle à jouer dans l’intelligence du temps de l’après, en articulation avec l’école : conservatoires, bibliothèques, théâtres, clubs de sport, autres ateliers. Le gel des activités sociales aura probablement pour effet dès cet été une forte demande de sociabilité de la part des moins de vingt-cinq ans, génération dite des « millenials » née avec un smartphone entre les mains. 

3. Inquiétudes et baisse de vigilance face aux infox 

- L’inquiétude de l’après-confinement dilate la vigilance des jeunes vis-à-vis des fausses infirmations sur les plateformes en ligne (Tik Tok, Snapchat et Youtube étant les plus grands pourvoyeurs d’infox). L’obsession la plus prégnante visible depuis les comptes Twitter des 15-25 ans est le traçage numérique par les gouvernements. Tout partage d’articles de presse sur la mise en place éventuelle de dispositifs numériques de gestion des déplacements des individus pendant le confinement est accompagné d’un discours émotionnel.

La classe virtuelle, dispositif d’urgence de garantie d’une continuité pédagogique, a fait apparaître en creux le rôle indispensable des professeurs dans la formation des citoyens. La France est un des rares pays au monde où l’école, de la maternelle aux classes préparatoires, est un creuset de la démocratie. Le confinement en milieu familial, qui exacerbe les inégalités de condition matérielles, culturelles et affectives, tend à prouver que la devise républicaine est pas flatus vocis mais une réalité quotidienne. Il y a des inégalités de conditions entre élèves mais ce n’est pas l’école qui les produit. Au contraire, le système éducatif républicain, laïc, parce qu’il ne renonce à aucune exigence intellectuelle (en remplaçant les cours par des séances ludiques, par exemple) , et ne cède à aucune emprise idéologique ou intérêt particulier, tend à diminuer l’impact des disparités de condition entre jeunes Français.

En classe, au sein de ce lieu protégé des pressions contingentes, les élèves sont essentiellement libres. Et ils ont aussi à le devenir, à prendre distance, une distance réfléchie, par rapport aux coutumes, aux modes et aux dogmes. L’école, au contraire du lieu de confinement, est un lieu de protection, où les enfants qui ne bénéficient des fonds, du carnet d’adresse et du préceptorat familial ont toute leur place légitime. Le cursus des enfants français se trace au mérite, quand dans d’autres pays, l’argent des parents est le facteur déterminant du berceau au tombeau. Sur les réseaux sociaux, familles et jeunes témoignent de leur reconnaissance envers leurs professeurs.

Un défi qui se pose sur le plus long terme à l’école est le renforcement d’une culture scientifique dans la formation intellectuelle des jeunes citoyens. Sur les réseaux sociaux en ce moment, les sciences sont remplacées par des débats sommés de répondre à des questions du genre : « A quoi ça sert ? Et les manipulations génétiques avec la 5G ? Et la chloroquine ? » Ce n’est assurément pas avec de tels débats et avec de telles questions qu’on pourra s’instruire et acquérir une culture scientifique. Les questions qui font une culture scientifique sont celles qui viennent des sciences elles-mêmes. Et c’est ainsi qu’il existera des savants en France dans l’avenir. La culture scientifique, c’est tout simplement la culture de la raison, sans laquelle s’installent tous les préjugés, les calomnies et les faux, viraux sur les réseaux de conversation en ligne. 


Dans ce contexte plus que jamais, les jeunes ont besoin de sociabilité. Les futurs étudiants ont besoin de se retrouver dans des amphithéâtres. Or, les universités envisagent déjà de massifier les cours en ligne pour les étudiants de licence, dont le taux d’échec est couteux pour la société.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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