Enfants issus de l’immigration : « plafond de verre » ? Non, charge mentale


Les enfants descendants d’immigrés maghrébins n’accèdent pas aux meilleures études et aux postes intéressants, constate l’INSEE en 2017. En cause ? Ce fameux « plafond de verre » qui rabaisserait toute tentative d’épanouissement de la part de « ces » jeunes. En réalité, il s’agit ni plus ni moins d’une charge mentale exercée sur eux dès l’enfance. Sur fond de crise économique.

« Quel que soit le moment de leur carrière, les descendants d’immigrés maghrébins sont moins souvent en emploi que les personnes sans ascendance migratoire. Les différences de diplôme, d’expérience, de situation familiale et de lieu de résidence expliquent moins de la moitié des écarts de taux d’emploi observés entre les deux groupes. Chez les hommes, l’écart d’emploi provient surtout d’une plus grande difficulté à accéder à l’emploi lorsqu’ils sont actifs. Chez les femmes, il résulte en grande partie d’une inactivité plus forte. Cette différence de comportement des femmes est particulièrement marquée dix à moins de vingt ans après la fin des études, notamment en présence d’enfants. », rapporte l’INSEE dans son rapport annuel « Emploi, chômage, revenus du travail ».

« Une fois en emploi, les difficultés que rencontrent les descendants d’immigrés maghrébins apparaissent plus limitées, notamment en termes de « qualité » des emplois. Toutefois, ils semblent confrontés à un « plafond de verre » qui rend plus difficile leur accès aux plus hauts salaires, au-delà de 3 000 euros nets mensuels à temps complet », précise l’INSEE dans son rapport.

« Dans votre parcours professionnel depuis 2004, estimez-vous avoir été victime au moins une fois d’une discrimination à l’embauche ? » : Dans leurs réponses à cette question posée en 2007 par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), 12 % des jeunes expriment une expérience de discrimination, trois ans après leur sortie du système éducatif. Ils sont plus du quart à ressentir ce sentiment s’ils sont enfants d’immigrés. (Source : Brinbaum, Y. & Guégnard, C. (2012). Le sentiment de discrimination des descendants d’immigrés : reflet d’une orientation contrariée et d’un chômage persistant. Agora débats/jeunesses, 61).

La crise économique ravive les réflexes d’un racisme visant les personnes dont le nom de famille laisse supposer (ou fantasmer) qu’elles ont grandi dans une culture différente de celle des « européens ». Quand l’emploi se raréfie et le niveau de vie des classes moyenne stagne, les tensions s’exacerbent entre les groupes sociaux. Les mécanismes de l’exclusion se mettent en place à toutes les échelles de la vie en communauté et les descendants d’immigrés se retrouvent en première ligne.

Le pseudo-plafond de verre

Ce « plafond de verre » n’est autre qu’une charge mentale négative continue exercée depuis la maternelle sur une bonne partie des enfants nés de parents, grands-parents ou arrières-grands parents originaires du continent africain.

Ils ne bénéficient pas ou peu, dans le regard que porte la société sur eux, de la complicité, de la douceur que l’on accorde d’ordinaire aux enfants. Pour s’en apercevoir, il suffit de considérer les regards et d’écouter fuser les remarques. Dans les supermarchés, les bus, bibliothèques, marchés, cinémas, centres de loisirs : ils n’ont souvent droit à aucune indulgence, aucune mansuétude. On ne les voit pas comme des enfants mais comme des noirs et des arabes.

Trois garçons bourgeois qui poussent leurs billes sur le trottoir jouent gaiment leur enfance dans la rondeur des agathes. Trois maghrébins du même âge occupés à la même activité sont nombreux et font trop de bruit. Selon ses origines supposées, une petite fille qui chaparde un bonbon dans une épicerie se verra accusée par le marchand de « sale gosse » ou de « voleuse », ce qui ne représente pas tout à fait la même charge mentale. Trois jeunes filles maghrébines qui rient fort dans le métro sont regardées comme des « ados mal intégrées » et pas comme des jeunes filles en fleurs. Tout de suite perçu à travers le prisme rouillé de la délinquance et du cas psycho-social, le petit « rebeu » ou « black » a intérêt à se tenir à carreaux partout où il passe.

Ce phénomène se constate aussi, mais dans une moindre mesure, chez les enfants « d’origine européenne » issus des milieux « populaires ». Rien n’a changé depuis Le lion et l’âne chassant.

Une fois au lycée, on en « oriente » une bonne partie. Si quelques-uns ou quelques-unes ont passé ce filtre à la force de leur détermination, dans les universités réputées et les grandes écoles, les autres étudiants ont tendance à s’autoriser, inconsciemment, à les dissuader, à rire d’eux en vue de les intimider.
Quant aux jeunes filles, souvent dépréciées socialement (« viens faire le ménage chez-moi, là est ta place » et autres réjouissances parfois salaces car dites sans inhibition), elles ont intérêt à redoubler de solidité mentale pour préserver leur intégrité.

Non, ce n’est pas un plafond de verre, c’est du verre dans la bouche. Cela relève de la mauvaise foi que de dire : « les maghrébins et les noirs, et par extension, les autres enfants issus de milieux populaires, ont tendance » à s’auto-censurer ». Non, ils sont dissuadés de s’épanouir depuis leurs premiers pas en société, et il est temps que cela cesse.

En 2000, la première expérience de « discrimination positive » à Sciences Po a mis en place une procédure d’admission spéciale pour les lycéens issus de ZEP. La conférence des grandes écoles (CGE) elle-même a par la suite engagé une réflexion sur les moyens de promouvoir la diversification des procédures de recrutement parmi ses membres. Ces mesures sont une bonne chose pour la pluralité des sources d’idées et d’initiatives dans le pays, mais n’ont de sens que si elles ont le pouvoir d’entraîner un changement radical des structures mentales.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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