La chaîne Cnews, qui a laissé passer une séquence où Eric Zemmour tient des propos irrationnels haineux de racistes risque des sanctions. Le parquet de Paris a annoncé avoir ouvert une enquête pour « provocation à la haine raciale » et « injures publiques à caractère raciste ». La responsabilité de la chaîne est aussi en jeu.
Polémiste récidiviste
Lorsqu’en pleine émission, Éric Zemmour assène, au sujet des mineurs isolés (tous cas civils confondus) « Ces jeunes, « ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs. C’est tout ce qu’ils sont. Il faut les renvoyer. Il ne faut même pas les laisser entrer. Pour cela, il faut sortir de la Cour européenne des droits de l’homme [CEDH], qui est l’origine du mal », il ne dérape pas. Au contraire, il maîtrise très bien la piste raide sur laquelle on lui a proposé de glisser.
« Pas tous ! », a repris l’animatrice Christine Kelly, ex-membre du CSA, au sujet de ces mineurs isolés dont certains sont entrés illégalement sur le territoire français.
Mais, le murmure de la journaliste, laquelle n’adhère pas à de telles inepties, n’a pas suffi à modérer ce bafouilli brutal qui viole sans vergogne les principes humanistes qui sont ceux de la République française, et qui n’ont pour but que de créer un climat de haine- plus concrètement de menaces et d’actes injustes- dans le pays.
Le 20 septembre 2020, le polémiste Eric Zemmour était condamné à 10 000 euros d’amende pour injure et provocation à la haine. Cette condamnation répond à la violente diatribe sur « l’islam » et « l’immigration » qu’il avait assénée en septembre 2019, lors d’un rassemblement politique, à Paris. Le tribunal a jugé que les propos tenus « constituent une exhortation, tantôt implicite tantôt explicite, à la discrimination et à la haine à l’égard de la communauté musulmane et à sa religion ».
Il s’agit de la deuxième condamnation pénale d’Eric Zemmour : quelques jours avant cette diatribe, il avait déjà été condamné définitivement à 3 000 euros d’amende pour des propos injurieux à l’encontre des Musulmans, après le rejet de son pourvoi à la Cour de cassation.
Et pourtant, le polémiste reste sur une grande chaîne télévisée d’information en continu aux heures de grandes écoutes et réitère ses vociférations. Sur Cnews, il continue ainsi à exposer sans que nul ne lui impose une contradiction efficiente ses propos haineux et irrationnels.
De plus, le polémiste n’étant pas affilié à un parti politique, il dispose d’une longue tribune quotidienne, dont le temps d’antenne n’est pas comptabilisé par le CSA au titre de l’obligation de pluralisme.
business model du mépris des Droits humains
En réalité, Eric Zemmour est la funeste tête de gondole de Cnews, et il le sait.
« Quand on a fait du racisme,de la xénophobie,de l’islamophobie ses principaux produits d’appel,on ne craint pas– de toute évidence –les condamnations et les amendes. Elles font partie du business model », explique Mediapart.
« L’appel à la haine est non seulement une habitude du polémiste, mais, désormais, il faut le dire clairement, une composante de la stratégie éditoriale de CNews. » énonce sans détours l’éditorial du journal Le Monde daté du 2 octobre.
Parce-qu’il flatte l’inquiétude et desinhibe les penchants au règlement de compte, le discours provocateur raciste ou xénophobe , au prix d’un dénigrement des droits humains, génère et fidélise de l’audience.
Médiamétrie a confirmé que la chaîne a en fin de compte enregistré une hausse de 14% de ses recettes publicitaires l’an dernier, soit 24 millions d’euros, selon l’information de Capital. Ces recettes ont été boostées par l’augmentation de +0,1 point de la part d’audience de la chaîne, à 0,8%.
Qui est responsable ?
« Ces propos vous appartiennent et [n’engagent] pas CNews », a jeté Christine Kelly à Eric Zemmour à l’issue de la diatribe désinhibée de ce dernier. La polémique a enflé cette semaine sur Twitter. Des individus ont cru utile d’injurier et de menacer anonymement la journaliste sur les réseaux sociaux.
La question de la responsabilité de la chaîne demeure néanmoins. Offrir les conditions d’un échange au cours duquel un interlocuteur rejette avec outrance la notion même d’humanité ne relève pas du principe de liberté d’expression, laquelle suppose cette notion. Autrement dit, toute parole qui nie l’être humain, par exemple en désignant un groupe comme entité incarnant un mal à éradiquer, n’est pas une parole libre en ce sens qu’elle n’incite pas au débat et à la proposition de projets de lois mais à la mise en place de décisions discriminatoires arbitraires.
Or, au lieu de le couper au montage ou d’annuler l’émission en plein direct, Cnews a diffusé dans les salons français les vociférations du chroniqueur. C’est en être en partie responsable non pas de la parole de celui-ci mais de la possibilité que cette parole soit prononcée, diffusée, commentée au point qu’elle remplace dans l’espace commun de discussions de société un libre débat d’idée.
Se pose également la question de la responsabilité individuelle des téléspectateurs réguliers d’Eric Zemmour sur C8. C’est là en principe le mode d’organisation de la démocratie ; où chacun a à prendre personnellement en charge une partie de la tâche de régulation sociale au service du bien commun, en l’occurrence du débat argumenté au sujet d’une meilleure organisation des services publics amenés à traiter des mineurs migrants dont certains sont entrés illégalement sur le territoire, ont commis des actes délictueux ou/et ont menti sur leur âge .
Telle est la raison pour laquelle la négation de la responsabilité morale individuelle, au sens de la vertu civique, condamne l’expérience démocratique.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a déclenché l’article 40 du code de procédure pénale, qui l’oblige à signaler au procureur toute infraction dont il a connaissance.
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