UberFiles : l’agenda politique ubérisé

Dans un dossier d’enquête commun, les « Uberfiles », Le Monde, Le Guardian révèlent le travail de sape entrepris par l’entreprise Uber dans plusieurs pays, dont la France.

Uberisation du Parlement

« Notre enquête illustre comment une multinationale peut recourir à des moyens colossaux, des jeux d’influence à très haut niveau et des méthodes agressives pour faire changer la loi à son avantage. », explique Le Monde sur son site.

« L’entreprise a enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements dans le monde entier », abonde The Guardian.

En fait, Uber ne fait ainsi que poursuivre les méthodes entreprises dans son propre pays : la startup disruptive a investi à la hussarde le marché américain en 2014, l’entreprise utilisait un outil – Greyball – pour duper avec une fausse application les inspecteurs qui cherchaient à contrôler les chauffeurs.

Ces révélations, le président Macron s’en serait bien passé, juste avant la Motion de censure a l’Assemblée nationale et juste avant « Choose France », le sommet des
investisseurs étrangers accueillis à Versailles par le celui qui est devenu président de la République.

Ces milliers de documents internes d’Uber datant de 2013 à 2017 révèlent que l’entreprise américaine Uber, confrontée à l’hostilité des pouvoirs publics et à de vastes ennuis judiciaires en France, a toutefois pu bénéficier de l’appui d’Emmanuel Macron lorsqu’il était au ministère de l’Économie.

Concrètement, Macron a plaidé, notamment au sein du gouvernement, pour un allègement de la réglementation qui encadre les plateformes VTC. En échange, l’entreprise aux méthodes décriées devrait accepter de renoncer en France à ses prestations les plus controversées : le service UberPop, notamment.

Macron, quand il était ministre de l’économie, a donné un coup de pouce décisif à l’arrivée d’Uber en France pour favoriser l’innovation et casser les vieux monopoles comme celui des taxi.
Les UberFiles mettent en évidence que Macron ministre était fasciné par les entreprises disruptives.
Les documents n’indiquent pas qu’il a touché des stock-options ou quoi que ce soit. La motivation exacte du ministre français de l’économie était donc l’ouverture de l’économie, promesses de création d’emplois.

Si Uber a occasionné en moins de dix ans la création de pas moins de 10 000 emplois sur le territoire français, la startup a très vite caractérisé en France le travail précaire. L’arrivée quelques années plus tard d’UberEats, avec sa flotte de livreurs payés au lance-pierre, a confirmé un modèle qui tend à écraser le droit du travail français. Chez Uber, instabilité, faibles rémunérations, et absence d’avantages font force de norme.

Les leviers de l’influence

Les milliers de documents des Uber Files récupérés par le journal britannique The Guardian, et partagés avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses partenaires, dont la cellule investigation de Radio France, démontrent que les dirigeants d’Uber ont insisté avec force pour une dérégulation progressive du marché et un desserrement de l’étau que constituait, selon eux, la loi Thévenoud alors en vigueur.

« L’entreprise a enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements dans le monde entier » affirme le Guardian en introduction des UberFiles.

Durant tout ce processus de déstabilisation législative, Uber a pu s’appuyer sur tout un réseau local de conseillers ayant des liens à la fois avec le gouvernement, les parlementaires et la presse. A plus fine échelle, les Uberfiles découvrent ainsi les fils qui ont noué ce lien entre Uber et le gouvernement français.

Certes, dans tous les secteurs, les associations, les syndicats, les fédérations, et les entreprises donc, font du lobbying et proposent des textes pour qu’ils soient déposés, discutés, votés.

Mais l’enquête des Uberfiles fait apparaître à quel point lobbies et des cabinets de conseil favorables à Uber ont tenté de saper le travail parlementaire, fissurant la souveraineté nationale.

Selon Le Monde, des conseillers français en économie ont proposé de rédiger pour Uber, au nom de leur cabinet de conseil, une étude facturée 10 000 euros hors taxes assortie d’un service après-vente auprès de la presse et des parlementaires.

Le chef de l’État, lui, n’a pas répondu précisément aux questions que l’ICIJ et ses partenaires lui ont posées, note la cellule investigation de Radio France.

« Le service de presse de l’Élysée nous a simplement précisé que les fonctions passées d’Emmanuel Macron « l’ont naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu’il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires ». Avant de conclure : « Il vous appartient de revisiter ces sujets rétrospectivement sous votre responsabilité éditoriale. » ».

Heureusement, dans une démocratie comme la France, cette responsabilité éditoriale reste garantie.

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CM (animateur de communauté sur les réseaux sociaux) / Correspondant(e)s à l'étranger / Contributeurs/trices occasionnel(l)es / Stagiaires JRI et stagiaires presse écrite dans la rédaction pour moins de 3 mois.

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