Le 2 mai dernier avait lieu la Journée mondiale de la liberté de la presse, événement impulsé par l’ONU depuis 30 ans. Toute la semaine, les partenaires des médias, du milieu universitaire et de la société civile organisent des événements visant à présenter les enjeux de la liberté de la presse pour la démocratie.
Cette année, Intégrale, média qui produit et réalise des reportages en zones de conflit, a choisi de porter un éclairage sur le récent « Projet Rafael » de Forbidden Stories, une association qui mobilise des moyens humains, matériels, numériques et financiers en faveur de la production d’une investigation indépendante à travers le monde.
En effet, la journée Mondiale de la liberté de la presse a eu lieu quelques jours après la publication de leur dernière enquête: Le « Projet Rafael ».
Le « Projet Rafael » reprend les investigations de Rafael Moreno, un journaliste colombien, assassiné en octobre 2022 alors qu’il enquêtait sur l’impact environnemental et sanitaire de plusieurs sociétés minières de l’État de Córdoba, dans le nord de la Colombie.
Ce projet illustre la façon dont Forbidden Stories réussit à construire une information libre au moyen d’un réseau numérique qui permet aux journalistes menacés de protéger les données de leurs investigations.
Investigation collaborative
Le 16 octobre 2022 à 19h10, Rafael Moreno a été abattu de plusieurs balles dans la ville de Montelíbano, au nord de la Colombie. Une zone particulièrement dangereuse, dominée par le « Clan del Golfo », l’un des cartels les plus puissants du monde.
Six mois l’assassinat du journaliste, les journalistes d’El Espectador, de CLIP (El Centro Latinoamericano de Investigación Periodística – le Centre latino-américain de journalisme d’investigation, ndlr), de Cuestión Pública, France 24, RFI et d’autres organisations de presse partenaires ont publié le « Projet Rafael ».
Il s’agit donc d’une investigation collaborative internationale qui a révélé des informations sur l’impact environnemental et sanitaire de plusieurs sociétés minières de l’État de Córdoba, mais aussi sur un système de favoritisme et le probable détournement de plusieurs millions de dollars.
C’est Forbidden Stories qui a coordonné cette synergie. C’est à cette association que le journaliste avait confié les données sensibles de son investigation, afin que l’enquête puisse être publiée quand bien même il serait assassiné.
« A los asesinos de #RafaelMoreno: se equivocaron.
Las investigaciones que les incomodaban serán expuestas masivamente este martes en el mundo entero.
Matar el mensajero, no matará el mensaje. », écrit Forbidden Stories sur Twitter, en hommage à Rafael Moreno.
« Il est important de rappeler qu’il en va de nos démocraties et du droit de chaque citoyen à être informé. Poursuivre les enquêtes des journalistes assassinés ne relève pas d’un réflexe confraternel, mais de notre devoir d’informer l’opinion publique sur ces sujets majeurs – qu’il s’agisse de crimes environnementaux, de corruption, de violations des droits de l’homme – pour lesquels les journalistes sont de plus en plus menacés. », écrit Laurent Richard dans un éditorial publié sur le site de Forbidden Stories.
Le « SafeBox » : un outil qui protège les journalistes et leurs enquêtes
Le « Projet Rafael » est la première investigation qui a pu être réalisée grâce à « The SafeBox », un outil qui permet aux journalistes menacés de protéger leurs informations sensibles pour que nous puissions poursuivre et publier leurs enquêtes quoi qui leur arrive.
Le « SafeBox Network » a été lancé lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2022. Le but de ce réseau est de permettre aux journalistes de poursuivre les enquêtes de journalistes assassinés, menacés ou emprisonnés est non seulement une façon de défendre le métier de journaliste.
Ce réseau est accessible à partir du moteur de recherche Tor via SecureDrop, un système de communication sécurisé et open-source entre journalistes et les sources. Il est développé en Python parla Freedom of the Press Foundation depuis 2013.
Pour envoyer des données à
Forbidden Stories, trois éléments sont nécessaires : le matériel d’investigation (documents, photos, vidéos, base de données, interviews, transcriptions, drafts d’article), les preuves des menaces auxquelles fait face la ou le journaliste et ses instructions pour guider l’association dans l’éventuelle poursuite et publication de son travail.
Envoyer des informations à Forbidden Stories ne signifie pas pour autant qu’elles seront publiées, car la structure conserve son indépendance éditoriale.
« S’il arrive quelque chose à un journaliste ayant partagé ses informations avec le réseau SafeBox Network, Forbidden Stories mène d’abord une pré-enquête pour déterminer le lien entre les menaces, pressions ou attaques et les publications de ce journaliste. De même, nous déterminons s’il est pertinent et possible de poursuivre son travail sur la base des informations sécurisées. » précise l’association sur son site internet.
La mise en place de ce réseau a aussi une visée de communication publique : c’est une manière de lutter pour la liberté d’expression, en donnant accès à l’opinion publique à des informations critiques.
L’objectif du SafeBox Network est de modifier le calcul des ennemis de la presse. Faire taire un journaliste ne leur permettra plus de passer sous silence leurs crimes : cela sera même contre-productif, veut croire Forbidden Stories, car au lieu d’être publiés dans un média local par un journaliste, leurs méfaits seront exposés dans le monde entier grâce au réseau des médias partenaires de l’association.
« Aux tueurs de Rafael : vous avez eu tort. Aujourd’hui, 32 médias dans le monde publient les enquêtes du Projet Rafael ».
Tuer le messager ne tuera pas le message » : tel est le sens de l’activité de Forbidden Stories.
Pour lire l’enquête
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